Imaginons un journaliste marocain, qu’on va appeler Mohamed Tintin, et qui décide de se rendre à Paris pour réaliser un reportage, en 48 heures, sur la vie politique française. Pour préparer son article, Mohamed Tintin prend contact avec Michel Dieudonna, un jeune Français converti à l’islam et installé à Casablanca. Ce dernier explique à notre reporter que l’air en Europe est devenu irrespirable, que les musulmans y sont opprimés, et que « ce sont les juifs qui gouvernent en France ».
Muni de quelques contacts fournis par Michel Dieudonna, le journaliste marocain débarque à Paris. Il se rend immédiatement dans une banlieue difficile, s’entretient avec des jeunes du quartier et prend en photo des immeubles délabrés et la boucherie halal du coin. Ensuite, il rencontre un représentant des « Indigènes de la république », un mouvement identitaire parano-dépressif, qui lui explique que la France est dirigée par un régime « colonial et raciste » et que les enfants des anciens esclaves doivent se révolter contre ce régime. Pour les besoins de son travail, Mohamed Tintin ne fait appel qu’à des militants d’extrême gauche ou des adeptes de la théorie du complot juif.
Pour mettre un peu de contrastes dans son reportage, Tintin fait un petit tour au chic et riche 16e arrondissement, griffonne quelques notes, pour échafauder toute une théorie sur les inégalités sociales en France. Une semaine plus tard, notre journaliste livre un reportage décrivant ce pays à travers l’unique prisme de ses rencontres et déclarations. Vu de Paris ou de Marseille, l’article de Mohamed Tintin suscitera l’amusement et les moqueries, mais pas plus.
Or, au sein de la presse française, quand il s’agit du Maroc, les Mohamed Tintin sont légion et se divisent en deux catégories. La première est celle des journalistes qui débarquent au royaume avec des sujets presque écrits à l’avance, où les gentils héros et les affreux méchants sont déjà identifiés. Cette vision décrit un Maroc manichéen, sans complexité ni profondeur, où s’affrontent Makhzen et démocrates, obscurantistes et progressistes, bourgeois d’Anfa et déshérités de Sidi Moumen. Un théâtre d’ombres, simpliste et schématique, qui ne correspond pas à la réalité du pays.
La seconde catégorie, plutôt prévenante et complaisante à l’égard de l’État marocain, livre une vision idyllique et fantasmée d’un royaume enchanté, havre de paix et de modération dans un océan d’instabilité et de fanatisme. Cette présentation consacre les éléments du langage officiel, et participe beaucoup plus à la propagande qu’à l’information. Les deux catégories, qu’on retrouve dans la presse française, entretiennent et alimentent les fantasmes sur le Maroc.
Une situation à laquelle participe l’État marocain, soit en limitant l’accès des journalistes français à l’information à travers un système d’autorisation archaïque et liberticide, soit en encourageant des articles et reportages élogieux qui frisent le message publicitaire. Les deux options ne peuvent produire, à la fin, que des équivalents français de notre Mohamed Tintin national.