Il y a trop de monde. Partout. Dans les restos où tu manges mal. Dans les vernissages où tu t’extasies sur des œuvres qui ne te touchent pas. Dans les halls d’aéroport où tu rêves de fuite. Et dans cette fête sans joie où tu te pavanes avec ta robe hors de prix, il y a aussi trop de monde. Trop de monde que tu connais. Tu dis bonjour. Machinale et souriante. Tu ne ressens rien. Tu fais la fête. Ce que tu fais de mieux. Ton cœur est sec. Ton rouge à lèvres parfaitement appliqué. Tout va bien. Tu n’attends pas grand-chose. De toute façon, tu ne sors quasiment que pour meubler les discussions du lendemain. Rien ni personne n’arrive à vraiment te surprendre. C’est bien ça le problème. On te présente des gens. Tu connais au moins la belle-sœur du cousin. Tu situes le nom de famille. Dans le meilleur des cas, tu as été en classe avec une nièce. Dans le plus glauque, tu connais les détails d’un scandale domestique. La vie en microcosme a un coût.
Le snobisme a un prix. Il a surtout une définition, snob veut dire sans noblesse. Tu fais partie d’une jeunesse que les autres disent dorée mais qui ne brille pas vraiment. Tes occupations n’ont rien de très lumineux. Tu écoutes des ragots, scrutes les sacs à main les plus chers et analyses la froideur de certaines poignées de main. Rien n’échappe à ton regard. Tu tentes de comprendre le cours de la bourse des vanités. Tu remarques celui qui a changé de look. Préférant la chemise ouverte sur un tee-shirt à la veste sur chemise, optant pour la fausse négligence d’une barbe de quelques jours : autant de signes qui annoncent une nouvelle maîtresse, plus jeune. Tu contemples avec désolation l’union sordide et prévisible d’un tordu et d’une écervelée. Elle bat des cils, elle a bien appris la leçon. Il fait tinter les deux glaçons de son verre de whisky, il sait que la virilité est aussi d’apparence liquide. Elle boit à la paille un cocktail trop sucré et se rêve au volant d’une Fiat 500.
Un bellâtre aussi ringard qu’un mec qui va en boîte le samedi soir vient jouer les apollons devant toi. Il te fait quelques compliments banals et affligeants. Il voit bien que ses paroles t’ennuient. Il cherche à te surprendre. Il ose te parler de Baudelaire dans une phrase bancale. Tu salues l’audace mais tu as surtout très envie de rire. Tu as très envie de rappeler à cet inculte au col blanc parfaitement amidonné que Les Fleurs du mal n’est absolument pas son livre préféré, c’est juste le seul dont il se souvienne du titre. Tu files remplir ton verre qui est autant à plaindre que toi.
Tu te nourris de trois petits fours et de trop de Sancerre. Dans les lits des autres, tu ne sais pas rêver. Alors tu t’assommes avant d’éventuellement y atterrir. Et puis surtout tu continues de faire semblant que tout va bien. De toute façon, quitte à choisir, tu préfères être enfermée dans une fausse image que de te dévoiler. Tu les trouves indécents ces gens qui se sentent obligés de raconter leurs inintéressantes vies à des gens qui s’en foutent. Toi, tu souris.
Le sourire est le dernier bastion de délicatesse de ceux qui n’ont plus rien à gagner. Tu en fais partie. Tu n’as rien à gagner. Rien à perdre. Tu as tout. Les apparences et l’illusion. Ce qui compte, ce qui se compte. Alors tu brûles tout. Tu n’aimes rien. Tu aimes tes amis. Ils te ressemblent. Inconscients. Elitistes. Immatures. Pédants. Blasés. Cyniques. Désabusés avant l’âge, irresponsables après l’heure. Tu as fait ton temps. Trois petits tours, deux petits traits et puis s’en va. Comprenne qui voudra. Advienne que pourra. Il est trois heures du mat’. Il pleut. Tu n’as pas froid. Tes yeux délavés, tes mains qui tremblent, ton petit cœur tout mouillé et toi allez tenter de trouver ailleurs ce que vous ne cherchez pas. Tout va bien. Demain, rien n’ira mieux.