Le jour de l’attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier, Tareq Oubrou est au Vatican. Il a été sélectionné avec trois autres imams français pour rencontrer le pape et des dignitaires catholiques de la curie romaine, autour du dialogue islamo-chrétien. Ce jour-là, il rentre précipitamment en France. Deux jours plus tard, sur son minbar de la mosquée El Houda de Bordeaux, durant le prêche du vendredi, Tareq Oubrou ne mâche pas ses mots, brocardant ce que « les imams disent sur le minbar à l’égard des juifs et des chrétiens…». Il affirme ensuite que « les musulmans ont quitté leurs pays d’origine pour trois raisons : la liberté, la prospérité et pour des raisons intellectuelles et culturelles », mais que « des jeunes des deuxième et troisième générations sont en train de trahir ce désir de liberté qu’on trouvait chez leurs ancêtres ». L’imam n’épargne pas non plus certains parents qui participent, selon lui, « à la haine que nous trouvons chez beaucoup de musulmans : « Faites attention à ceci, faites attention aux kouffar (mécréants), au judaïsme… » On développe la culture du complot et de la méfiance… ».
A contre-courant des ratiocinations, voire des justifications, Tareq Oubrou parle « d’acte pathologique », d’individus « incultes » qui font honte à leur prophète, à leurs coreligionnaires et à leur religion. La tonalité critique constitue sa marque de fabrique.
La « fessée communautaire »
Tareq Oubrou sermonne, au sens commun du terme. Ce natif de Taroudant, qui a quitté avec ses parents son pays d’origine, distribue même de « la fessée communautaire », pour reprendre un mot de l’humoriste et essayiste Farid Abdelkrim qui a réalisé un documentaire de 52′ retraçant le parcours de l’imam (Tareq Oubrou, un imam dans tous ses états). Les deux hommes se connaissent de longue date et Farid Abdelkrim considère que l’imam de Bordeaux a non seulement les clés pour apaiser les tensions entre les musulmans de France et leur environnement laïque (et inversement), mais même au-delà, pour projeter l’islam sans heurts dans le XXIe siècle.
Cette propension à faire circuler la parole critique au sein de sa communauté est ce qui différencie Oubrou de bien d’autres leaders communautaires. Ce dernier est plus « rentre-dedans ». Il s’agace souvent, par exemple, de la surreprésentation des religieux proche-orientaux et du Golfe lors des rassemblements annuels de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) au Bourget, dans la banlieue parisienne, grand-messe islamique qui draine des centaines de milliers de personnes, et n’hésite pas à dire qu’ils font fausse route.
L’électron libre de l’UOIF
Au sein de l’UOIF, Tareq Oubrou dénote par ses idées. Les positions de l’imam de Bordeaux sur le voile (dont il relativise l’importance canonique) ou sur le nécessaire dosage de la visibilité (éviter les minarets, par exemple) dérangent et gênent au sein de cette association plutôt conservatrice. Et pourtant, il y paraît comme indispensable. C’est peut-être qu’il est, au sein de l’UOIF, le seul à se donner vraiment les moyens d’un passage théologico-canonique d’un islam en France à un islam de France, que tous les dirigeants de l’association appellent de leurs vœux (la formule n’est pas de Sarkozy, qui l’a reprise pour sa com’, mais bel et bien de l’UOIF, à l’origine). Tout l’appareil de l’UOIF reconnaît ses connaissances en fiqh, en mystique musulmane et en philosophie arabe. Pour lui, un imam et théologien musulman contemporain doit nécessairement être « savant de son temps et savant de la loi ». Sans cela, il est coupé du monde et produit un discours atemporel qui mène les musulmans droit dans le mur. Les trente années dans l’œil du cyclone de la communauté ont formé et forgé la personnalité et le rapport de Tareq Oubrou avec l’islam en France. Ce penseur de l’islam a pu évoluer d’un discours belliqueux vers une théologie de l’acculturation et de la sécularisation parfaitement assumée. Une trajectoire qui lui a valu, il y a un an, le grade de Chevalier de la Légion d’honneur, distinction républicaine rare pour un religieux musulman.
Un retour au Maroc ?
En France, il commence à compter autour de lui de plus en plus de disciples franco-algériens, franco-marocains, franco-sénégalais ou convertis, de la droite à la gauche de l’échiquier politique. Au Maroc, ils sont de plus en plus nombreux à penser que ses propositions ne sont pas seulement valides pour l’islam en/de France. A la suite du passage de l’imam à Casablanca, début septembre 2014, pour délivrer la conférence inaugurale du colloque « Islam et sécularisation dans l’espace méditerranéen », l’universitaire et intellectuel Hassan Aourid s’est enthousiasmé : « C’est une parole d’avenir qu’il porte ! Nous avons besoin de lui ici plus souvent ! ». Depuis, l’ex-historiographe du royaume tente d’organiser son retour au pays pour un cycle de conférences sur les thèmes de prédilection de l’imam théologien. Et il n’est pas le seul à attendre le retour de l’enfant prodigue.La théologienne et médecin Asma Lamrabet, des journalistes, des universités et des groupes de recherche l’auraient également sollicité afin qu’il diffuse sa profession de foi dans le royaume.
Cédric Baylocq
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