Depuis le code Hayes au moins, les films passent par le filtre d’une ou de plusieurs autorisations visant la protection des mœurs. Un film peut être interdit aux moins de 12 ans, moins de 16 ans, moins de 18 ans… Au Maroc, Exodus a été interdit tout court. Nous sommes en droit de nous poser la question de la légitimité de cette interdiction, tout en remerciant au passage les censeurs pour le rare souci qu’ils portent au bien collectif et au public mineur (c’est-à-dire au public tout court).
Soulignons d’abord deux paradoxes marocains. A l’heure du téléchargement légal ou pas, des copies pirates et du streaming, cette interdiction absurde complète l’édifice dual marocain : l’alcool interdit et les ivrognes qui pullulent, la prostitution interdite et les filles vénales disponibles, le cannabis interdit et l’herbe qui parfume le bout des rues… Développement quand tu nous tiens ! La société des mass-médias va être islamisée, c’est-à-dire introduite à l’hypocrisie législative. Les films sont interdits, c’est-à-dire qu’on peut les regarder, mais gratuitement, illégalement, dans de mauvaises conditions, et sans payer les légitimes distributeurs et exploitants de salles.
Deuxièmement, alors que le Maroc accueille un grand nombre de tournages, alors que les figurants, acteurs, techniciens et cinéastes marocains participent à la production de beaucoup de films hollywoodiens, nos politiques et nos administrateurs se lancent ou persistent dans une carrière de fermeture culturelle pour le moins contradictoire avec nos choix économiques.
Revenons à l’interdiction. Aux raisons probables. En Egypte, autre pays phare, l’interdiction avance sous l’égide de l’histoire : Exodus déforme la réalité pharaonique et insulte la mémoire des vrais constructeurs de pyramides, Egyptiens de souche. Aux Etats-Unis, d’ailleurs, une controverse inverse est née à ce propos : les Noirs sont uniquement représentés comme esclaves, alors que la vulgate défendue par les afro-américains militants veut que les pharaons aient été noirs. Passons. Chez nous les raisons sont moins tangibles, plus religieuses aussi. Exodus représente un prophète, et semble tomber dans un incarnationnisme primitif ici ou là.
Est-ce aux autorités de s’engager dans ce genre de débat théologique ? Les spectateurs ne sont-ils pas assez mûrs pour discerner d’eux-mêmes la bonne image de la mauvaise ?
Sommes-nous sûrs désormais de pouvoir regarder la saison 5 de Game of Thrones, en tournage au Maroc en ce moment, dans quelques mois ? (Et si la main coupée de Ser Jamie, ou les imprécations des chamans aveugles, subitement, suggéraient à nos censeurs je ne sais quelle peur infantile religieusement surinterprétée ? Et les dragons, et la devineresse rouge ? Et le mur ? Et le trône et ses épées ? Mon dieu, où se cache l’hérésie ? Dans quel détail, dans quelle réplique ?)
Refaire le travail de l’âge théologique est admirable, mais inutile. Sodome a été punie, une fois, inutile de répéter. Moïse, déjà sauvé des eaux, n’a pas besoin de nos bureaucrates pour réchapper à ses ennemis. Nous vivons dans la répétition infinie depuis plus d’un demi-siècle : re-châtier Aad et Tamud, re-détruire Sodome, ou, dans un registre moins punitif, faut-il maintenant re-sauver Moïse de Pharaon ? Le monothéisme, qui fut partout un effort d’élévation psychologique et de sortie des miasmes infantiles, procède-t-il aujourd’hui à une régression généralisée ? Une foi infantile du re-re ?