La rentrée, au même titre que les fins de soirée, fait partie de ces moments de la vie que tu n’aimes pas. Toi, tu aimes jouer les prolongations. Prolonger l’été en septembre. Prolonger les fêtes même si le jour s’est déjà levé. Et prolonger les vacances à la rentrée donc. En ce moment tu paresses en te passionnant pour l’Egypte antique. Tu as été jusqu’à regarder Arte pendant des heures sans bâiller. Tu envisages même une croisière sur le Nil. Mais apparemment ce n’est pas vraiment le moment. C’est que ta fascination historique n’a pas grand-chose à voir avec la triste réalité. Du coup, tu as très envie d’aller acheter de beaux livres d’histoire. Tu bouges donc de ce canapé qui semble t’avoir aspirée depuis quelques jours pour aller acheter des bouquins. Dépenser de l’argent en ayant bonne conscience : le rêve absolu ! Mais là un truc te frappe. Les librairies et les bibliothèques ça ne se trouve pas à tous les coins de rue.
Il faut reconnaître qu’il y a nettement plus de snacks et de salons de coiffure que de librairies. Ce n’est pas que tu n’aimes pas les sandwichs gras et les vernis à ongles irisés, mais tout de même ! Les livres c’est vachement bien et c’est censé être utile ! Tu as appris des trucs plutôt sympas dans les livres. Il y a eu les jolis contes qui t’ont endormie. Les poèmes qui t’ont donné envie de faire des rêves étranges et pénétrants et qui t’ont fait trouver bien fadasse la plupart des whatsapp des coureurs de jupons. Les romans qui t’ont intriguée et que tu as trimballés dans tes sacs de plage. Et aujourd’hui la passionnante histoire de Toutankhamon. Alors tu te demandes pourquoi il n’y a pas plus de livres dans l’univers dans lequel tu vis. Tu te dis que même en déco ça serait pas mal. En tout cas, mieux que cet arsenal d’hideuse vaisselle faussement chinoise que ta mère exhibe fièrement dans sa bibliothèque. Certes, partout il y a le Livre. Ok c’est bien. Mais est-ce que c’est suffisant ? Tu ne penses pas. Et puis surtout, à aucun moment dans Le Livre tu n’as vu écrit : « D’autres livres tu ne liras point ». Au contraire, tu crois même te souvenir de ton grand-père qui te racontait que le premier verset révélé était « Lis au nom de ton Seigneur qui a tout créé ». Du coup, tu veux vraiment comprendre pourquoi il n’y a pas plus de bouquins autour de toi. Et tu découvres deux-trois chiffres juste effarants.
Un enfant dans la partie du monde qui écrit de droite à gauche lit en moyenne six minutes par an ! Et les parents de cet enfant lisent dix minutes par an ! Non pas par jour, par an. Tu hallucines un peu. Ok, faut pas comparer. Ici, c’est forcément mieux. Parce qu’ici c’est le plus beau du pays du monde. Ici tout est formidable. Mais tout de même ! Tu te renseignes pour voir comment ça se passe ailleurs. Et tu découvres donc que sur le Vieux continent les gens lisent douze mille minutes par an. Et aussi que, oh mon Dieu ! les Israéliens lisent et éditent plus de livres que tout le monde arabe réuni. Tu n’y connais peut-être pas grand-chose en enjeux géo-politico-économico-complicado. Enfin bref, sans avoir un grand avis sur la question tu finis par te dire qu’il y a peut-être un lien entre la grandeur d’une nation et le temps passé à lire. Et celui qui viendra te bassiner avec l’algèbre, l’astronomie ou l’Age d’or de l’Andalousie, tu as un peu envie de lui balancer une babouche à la figure. Ou un livre, tiens. Ça fait encore plus mal.