Mes bons amis, c’est une période dramatique pour notre pays. Zakaria Boualem, comme tout le monde, a été horrifié par les catastrophes qui ont frappé notre paisible contrée. La pluie bienfaitrice a été sans pitié. On savait depuis longtemps qu’il suffisait de quelques heures de pluie pour nous plonger dans le ridicule, on a découvert que plusieurs jours peuvent nous faire basculer dans l’horreur. Il fallait s’en douter, c’était mathématique. Des dizaines de morts, des douars ravagés… et, signe d’un grand sang-froid, aucun deuil national n’aura été déclaré, il faut se féliciter de cette propension à garder le sens de la mesure. Une catastrophe monumentale. Rien ne nous aura été épargné. Des villageois qui s’improvisent pompiers, des camions poubelles qui deviennent des corbillards, des ponts qui s’écroulent, des routes qui se diluent, des hélicos qui font un casting pour choisir les évacués… A la terrible violence d’une catastrophe naturelle démultipliée par l’intensité de notre grand n’importe quoi national, il est inutile de chercher des responsables, bien entendu. Nous sommes habitués depuis longtemps à accepter que ce n’était la faute de personne ou, pire, d’un quelconque hajjam – ce qui n’est pas mieux.
Non, en fait, tout cela est la faute de Zakaria Boualem. Ou plutôt de son homologue de la vallée du Drâa. C’est lui qui a construit des maisons n’importe où, soudoyant les autorités, c’est lui qui est ingérable, sous-développé, analphabète et crétin. C’est lui qui reste comme un idiot dans son village loin de tout au lieu de venir dans la ville grossir la cohorte des bidonvillois. C’est lui qui continue d’emprunter des pistes qui traversent le lit des oueds au lieu de prendre l’autoroute. Voilà, tout est de sa faute. A cause de son entêtement, on est obligé de lui larguer des vivres par hélicos, c’est tout de même extraordinaire. Voilà. En plus il n’est pas civique, c’est bien connu.
Zakaria Boualem considère que nous sommes un pays sur lequel plane une sorte de baraka divine. Prenons, au hasard, le foot comme exemple. La Belgique a connu en 1985 une catastrophe qui a tué quarante personnes, l’Angleterre a eu droit à une bousculade monumentale en 1989, presque une centaine de morts. La France a vu une tribune entière s’écrouler en 1992, 18 victimes. On parle ici de pays un peu plus structurés que le nôtre, hein (ne le prenez pas mal, c’est juste une façon de parler). Des endroits où on n’entre pas en graissant les pattes, où les portes d’entrée ne font pas 80 centimètres de large, où les escaliers sont munis de marches à dimensions standards, sans barres de fer qui surgissent du béton soudain, par exemple. Eh bien, ces gens-là ont eu droit à des catastrophes. Comment avons-nous donc fait pour y échapper ? Nous qui entassons trois fois plus de spectateurs que de billets tout en refusant le concept d’issue de secours ? Il n’y a d’autre explication qu’une sorte de bénédiction divine. Voilà, c’était une démonstration par le foot, c’est un truc que Zakaria Boualem aime bien faire. Si on admet qu’il est révélateur du reste, on va dire qu’à force de faire n’importe quoi, il est en fait étonnant que nous n’ayons pas plus de désastres.
Pourtant, il suffit d’observer avec attention le fonctionnement de nos services publics pour constater qu’un certain laisser-aller y règne. A l’exception notable des mosquées, il faut le préciser. Aucun retard sur Al Adane, jamais une prière du vendredi oubliée, l’efficacité règne. Zakaria Boualem l’a déjà dit, il faudrait que tous les Marocains aillent à la mosquée, ne serait-ce que pour avoir le plaisir de contempler un service public qui fonctionne correctement. C’est à peu près la seule conclusion que notre héros puisse tirer de cette observation. On ne sait pas s’il faut confier aux imams l’organisation des secours pour les inondations, par exemple, ou la réforme de l’administration. Allahou a3lam. Cette chronique est confuse, elle n’a pas de conclusion, Zakaria Boualem est fatigué, il a besoin d’aide, et merci.