Ta vie en l'air. Djellabar

Par Fatym Layachi

Après un long dimanche à mater des séries débiles, à manger des conneries et raconter tout et n’importe quoi sur n’importe qui, tu as eu la flemme de rentrer chez toi. Du coup, tu as dormi chez Zee. Ce qui en soi n’a rien d’exceptionnel. Sauf que le lendemain matin, tu devais aller bosser et tu n’avais que ce jogging un peu dégueu dans lequel tu avais passé la journée et dans lequel il est juste hors de question que tu t’affiches un lundi. Le truc c’est que Zee fait 5 cm de plus que toi et 6 kilos de moins (oui, elle est hyper bien gaulée) et que tu as l’air absolument ridicule dans ses jeans. Donc tu t’es retrouvée à lui emprunter une djellaba. Au boulot, les gens t’ont regardée avec surprise, mais rien de très perturbant non plus. A la fin de la journée, tu es épuisée. Oui, toi, ce sont les débuts de semaine qui t’épuisent… Alors tu es allée rejoindre tes autres copines glandeuses et épuisées pour boire un verre dans un de ces endroits où tu es habituée.

Mais là, le mec qui sert de videur te fait un vague sourire un peu étrange. Tu ne comprends pas trop ce qu’il veut dire. Il finit par te murmurer un très gêné (et très gênant) « ça ne va pas être possible ». Quoi ? A toi ? On refuse l’entrée d’un endroit ? L’humiliation suprême ! Le monde à l’envers ! Tu as un peu envie de rappeler à ce brave homme que si cet endroit est ce qu’il est c’est en partie parce que tu y as ramené tes potes amateurs de champagne en magnum et tes copines aux jupes si courtes que toute la ville vient les mater. Mais ce videur insiste, presque pour s’excuser, en montrant du doigt ta djellaba. Tu as hyper honte. Quand soudain tu as une fulgurance. Ce n’est pas toi qui t’es fait virer, c’est ta tenue. Et ce n’est plus la honte, mais la colère qui t’envahit. Tu imagines si un Ecossais se voyait refuser l’entrée d’un pub parce qu’il est en kilt ? Parce que c’est exactement ce qu’il vient de t’arriver. Tu ne peux pas rentrer dans un endroit estampillé « classe » parce qu’un idiot à la porte, obéissant aux ordres de son encore plus idiot de patron, a décrété que le fleuron de l’habillement traditionnel était cheap. A bien y réfléchir c’est quand même d’une tristesse inouïe : tu vis dans un microcosme qui considère que ce qui est « estampillé tradi » est cheap, ou du moins incompatible avec un certain standing. Ça te met hors de toi. Elle est canon la djellaba de Zee et elle est sans doute bien plus raffinée et élégante que les trois-quarts des robes en tissu de rideau de douche des connes qui sont à l’intérieur. C’est glauque de voir comment on a cantonné nos traditions à des contextes bien précis.

A quel moment ta mère et ses copines housewives ont-elle fait de la djellaba une tenue à connotation exclusivement religieuse ? Et ce n’est en aucun cas une idée qui a à voir avec la décence, la pudeur ou une vague humilité. Il n’y a qu’à voir le fric qu’elles dépensent pour se faire faire les plus belles djellabas. Que ce soit pendant le ramadan ou quand elles doivent aller à une gnaza, il faut qu’elles continuent à jouer à qui sera la mieux habillée, ou plutôt qui sera celle dont la richesse sera la plus apparente. Donc non, ce n’est pas vraiment une question de décence. C’est un code. Un code débile. Ta tante t’a quand même dit un jour qu’elle aurait du mal à jeûner en jean. Tu vois pas le lien, mais bon… Là en l’occurrence, le mec qui t’a virée de ce bar, ce n’est pas du tout le côté religieux qu’il pointe du doigt. Non, ça, ça pose rarement problème. Tu as déjà vu une hijabeuse dans un casino et tout le monde avait l’air tranquille avec ça. Tu as trouvé ça un peu étrange, mais bon. Non là, c’est bien le côté marocain de la chose qui est mis en cause. Trop terroir peut-être ? Du moins, jugé pas assez chic. Et toi tu trouves ça juste écœurant ce dénigrement qu’on s’inflige et tu te dis qu’en détestant autant d’où on vient, on n’ira jamais bien loin.  Du coup tu t’es fait un point d’honneur à commencer à sortir en djellaba. Qui sait, peut-être que tu arriveras à créer une tendance.