Son nom est Mourad, jeune Casablancais qui vient de fêter il y a quelques semaines son 23e anniversaire. Affable, serviable et extrêmement proche de sa famille, rien ne le différencie de ses milliers de congénères. Enfin, presque. Car, depuis quatre mois, le garçon a changé. Il a laissé pousser une longue barbe, changé de façon de s’habiller, et ne parle que de Syrie, des crimes qui y sont commis par le régime de Bachar Al Assad et la souffrance des musulmans dans cette région du monde. Début novembre, Mourad est parti en Turquie, puis il a traversé la frontière vers la Syrie pour rejoindre les combattants de Daech. Depuis, plus de nouvelles de lui. Pourtant, rien ne disposait Mourad à un tel changement. Sa famille, que l’auteur de ces lignes connaît intimement et depuis une vingtaine d’années, baigne dans une culture de gauche, moderniste et laïque. Son père est un militant syndicaliste et ses oncles ont tous été des activistes dans des organisations d’extrême gauche. Une culture politique et un milieu familial propices à tout, sauf à enfanter et produire un jihadiste.
L’histoire de Mourad, à quelques variantes près, est celle de milliers de Marocains qui ont rejoint les rangs de Daech ou s’apprêtent à le faire. Ils représentent actuellement le troisième contingent étranger au sein de l’État islamique, et forment le premier groupe de kamikazes qui se font exploser en Syrie et en Irak. Des chiffres dont on ne peut ni s’enorgueillir ni tirer aucune fierté nationale. Cette situation est plutôt alarmante et porteuse de questionnements. Car comment et pourquoi ces Marocains décident-ils de quitter leur pays pour aller tuer ailleurs et se faire massacrer dans une guerre qui se déroule à des milliers de kilomètres de chez eux ? La première réponse est d’ordre émotionnel. Comme tous les jeunes, ils rêvent de justice, d’héroïsme et de cause noble à défendre. Pendant les années 1970-1980, leurs aînés souhaitaient changer le monde et le rendre plus équitable en adhérant aux idéaux de la gauche et à ses valeurs. Aujourd’hui, le monde a changé et ses valeurs aussi. L’État islamique offre à ces jeunes une nouvelle quête de l’absolu, une possibilité de s’affirmer comme des combattants pour la justice et pour un monde meilleur, à leurs yeux. Les images des exactions et des crimes commis par le régime d’Al Assad, et l’absence de réactions fermes au sein de la communauté internationale, poussent ces jeunes à vouloir réparer une injustice. Les vidéos des jihadistes en Syrie et Irak, soigneusement et parfaitement réalisées, les font rêver et fantasmer. En raison de leur âge, ils sont pour la majorité d’entre eux des « digital native », qui ont grandi dans un environnement numérique qui a conditionné leur formation et leur culture. Ils sont le produit d’Internet, des réseaux sociaux, de YouTube et des jeux vidéo. Pour eux, le virtuel est un prolongement du réel et vice-versa. L’endoctrinement ne se fait plus en groupe, dans des mosquées clandestines, et en présence de chefs religieux qui leur servent de mentors et de référence. Leur rapport est direct et individuel à l’égard des textes, et leur univers mental est formé par le flux d’images et d’informations qui leur arrivent d’Internet. Ils sont les enfants de la modernité technologique, de la société de consommation et de la révolution numérique. Et de la barbarie aussi.