Au feu rouge, quand tu ne consultes pas compulsivement tes notifications WhatsApp, il t’arrive de regarder autour de toi. Et là, face à toi, sur un panneau qui penche légèrement, une affiche pour l’un de ces nombreux nouveaux programmes immobiliers te choque. Mais cette fois, ce n’est ni de la faute des quatre fautes de syntaxe au centimètre carré, ni la laideur des couleurs choisies. Non, cette fois, tu frôles l’apoplexie visuelle après avoir lu la mention « 100 % déclaré ». Un promoteur immobilier est donc très heureux de te faire savoir qu’il ne triche pas. Que lui ne se fait pas payer un cinquième de la somme au noir. Qu’avec lui, tu vas tout payer pour de vrai. Et tout pouvoir déclarer aux impôts. Sans avoir à te trimballer avec une valise pleine de cash. Tu trouves ça assez incongru comme argument de communication. Tu te dis que, en principe, la triche, justement parce qu’elle est contraire à l’éthique, aux règles ou à la morale, devrait se faire en cachette. Et tu te dis que, généralement, la norme, si tant est qu’il y ait une norme, c’est la régularité. Mais là, face à toi, une simple affiche te démontre qu’ici, tout ce système, à première vue logique, est inversé. Un peu comme si tricher était un acte normal et banal.
En fait ici, on ne condamne pas la triche, on applaudit les comportements réglos. Et du coup, être réglo, ce n’est pas un comportement normal et quotidien. Non, c’est un fait exceptionnel, un truc génial sur lequel on s’extasie et que l’on commente avec engouement. D’ailleurs, la semaine dernière, tu as reçu un coup de fil des impôts, te disant en substance qu’« on sait que tu as triché, que tu as des biens à l’étranger. Mais ramène tes biens au pays. Et tout ira bien. » La meuf au bout du fil t’a même fait comprendre qu’il y avait moyen de s’arranger. Tu as un peu l’impression que la grande tendance du moment, c’est de se dire : « Oui, la triche a existé, non, ce n’est pas bien, alors maintenant on arrête de tricher ». Le tout avec autant de fermeté que ces parents qui se contrefichent de leurs gosses qui hurlent. Ce genre de pères et mères qui balancent des « ça suffit mon cœur » que le gamin n’entend pas mais qui donnent l’impression aux adultes de s’être comportés en parents. Même au plus haut sommet de l’Etat, on t’annonce que les prochaines élections vont être transparentes. Toi, tu as un peu de mal à croire que le simple fait de reconnaître la pourriture d’un système y mettra fin. Les affiches placardées avec les slogans « non à la corruption » ne t’ont jamais empêchée de glisser un billet pour ne pas attendre à la mou9ata3a et ne posent aucun cas de conscience au moustachu qui prend le billet avec le sourire. Autour de toi, tu ne connais personne qui ait effectivement rapatrié ses biens de l’étranger ou qui envisagerait de le faire. Par contre, le vrai sujet de discussion, c’est comment s’arranger avec cette nouvelle loi assez incommodante. L’une de tes tantes va jusqu’à rencontrer, chaque semaine, des avocats un tantinet véreux pour voir lequel lui proposerait la meilleure solution.
Toi, tu en arrives à te demander si le civisme, c’est un truc inné. Si c’est dans l’ADN. Mais tu n’y crois vraiment pas. Est-ce que c’est une question d’éducation ? Tu ne penses pas non plus. Tu en connais plein des gens qui ont le civisme à géographie variable. Prêts à faire la queue ailleurs, adeptes de la fawda ici. Alors c’est quoi ? Tu te dis que c’est un truc qui doit avoir affaire avec l’instruction (civique, justement) et tu te dis que c’est à l’Etat de nous l’enseigner.
Déjà que l’école ne t’apprend pas à lire convenablement, elle ne va pas en plus t’apprendre à être quelqu’un de bien. Alors tu vas continuer à te lamenter du service public défaillant et du manque de civisme, tout en continuant de jouir du nombre incalculable d’avantages que la triche te permet. C’est tellement plus confortable.