Pendant plus de quarante ans, la question du Sahara a toujours été synonyme de consensus, d’unanimité et de ralliement sans faille autour de cette cause nationale. Aucune voix discordante ou émettant un avis différent n’était tolérée. Même quand un dirigeant nationaliste de la stature de Abderrahim Bouabid avait osé s’opposer à la manière de gérer le dossier du Sahara, et notamment l’acceptation du principe de l’autodétermination par Hassan II, ce dernier n’a pas hésité à le mettre en prison, en compagnie d’autres chefs de l’USFP. Les anathèmes sont prêts à l’emploi et les accusations de manque de patriotisme faciles à dégainer. Pourtant, dans un pays qui se veut démocratique et qui inscrit le pluralisme dans sa Constitution, cette unanimité imposée n’a aucun lieu d’être. Au contraire, elle nuit au règlement et à la gestion du dossier.
Il est évident qu’il existe au Maroc un sentiment viscéral et une conviction forte qui veulent que le Sahara soit partie intégrante du territoire national. Beaucoup de sacrifices ont été consentis pour cette région du royaume, des hommes et des femmes sont morts sur son sol pour la défendre… Le temps politique marocain est totalement indexé à l’évolution de cette affaire. Sauf qu’au-delà des convictions et des émotions, il y a une gestion politique et diplomatique qui doit être soumise aux questionnements et échapper aux injonctions du consensus. Le dernier discours du roi, prononcé le 6 novembre, est explicite à cet égard. Dans ce discours, le monarque reconnaît lui-même l’existence de dysfonctionnements dans le mode de gestion au Sahara. Il évoque alors les expressions « économie de rente », « privilèges » et « injustice » pour décrire cette situation. Un constat d’échec au niveau de la gouvernance et de la gestion interne du Sahara, dressé il y a un an déjà dans un rapport établi par le très officiel Conseil économique, social et environnemental (CESE). Sauf que le responsable de cet échec n’est autre que l’Etat lui-même. Pendant de longues années, l’Etat a décidé de s’appuyer sur les notables et chefs de tribus dans la gestion des affaires sahariennes. Il a même participé à créer et promouvoir des notables qui ne disposent pas d’assises sociales ni de prestige historique pour jouer un vrai rôle de médiation. La contrepartie malheureuse de ce soutien est le développement d’une culture de clientélisme, de prébendes et de corruption. Et comme dans tout système de privilèges, une minorité s’enrichit et prospère tandis que la majorité rumine un sentiment d’injustice et de frustration. Les événements dramatiques de Gdeim Izik, près de Laâyoune en 2010, sont le résultat d’une telle situation. Le lit du séparatisme est préparé par les mains complices de la corruption et des inégalités. Sauf que tous ces dysfonctionnements et dégradations progressives des relations entre l’Etat et la société sahraouie ont été passés sous silence au nom de l’unanimité et du consensus. Le temps n’est-il pas venu d’apprendre de nos erreurs et d’ouvrir un vrai débat pluraliste, qui sort des clichés et formules d’usage, sur le mode de gestion interne de la question du Sahara ?