CAN 2015: "Une affaire, mal gérée de bout en bout"

Par Abdellah Tourabi

Dans sa gestion des affaires publiques et sa manière de diriger la diplomatie nationale, l’État marocain évoque Gollum, personnage fictif et schizophrène de la saga Les seigneurs des anneaux, tiraillé entre raison et démence et perdu dans d’interminables monologues pour savoir qui il est et ce qu’il veut. L’exemple de l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) au Maroc, et les cafouillages qui l’entourent, illustre parfaitement ce constat, où l’on est capable du meilleur comme du pire. Cette affaire, mal gérée de bout en bout, démontre comment on peut ruiner en quelques jours ce qu’on s’échine à construire depuis des années. Conçue comme une vitrine sportive et politique, la tenue de la CAN au Maroc était une aubaine pour présenter l’image d’un pays stable et moderne, renforçant ainsi la place que le royaume essaye de se donner sur le continent africain. Sauf que l’autre partie, déraisonnable et absurde, du « cerveau » de notre État est passée à l’action en demandant le report de la compétition et en campant sur cette décision. Une demande qui met le Maroc dans une situation embarrassante face aux instances internationales du football, mais qui produit également des effets politiques et culturels qu’on aurait pu éviter.

 Il suffit de lire le communiqué de la Confédération africaine de football (CAF) pour s’apercevoir de la légèreté de la décision prise par le gouvernement. L’argument du risque de propagation du virus Ebola et le principe de précaution brandis par nos ministres s’effondrent devant la démonstration de l’instance africaine, ainsi que les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS). C’est ainsi que la CAF rappelle que sur les trois pays sérieusement touchés par l’épidémie, seule la Guinée est susceptible de se qualifier à cette coupe. Or, la sélection guinéenne joue depuis des mois ses matchs de qualification… au Maroc, sans qu’aucun incident n’ait été enregistré. La CAF estime aussi que le nombre de personnes susceptibles de se déplacer du continent vers le Maroc, pour assister à cette coupe, ne peut pas dépasser 1000 personnes. Un argument qui balaye l’image de hordes de milliers de supporters africains qui vont inonder nos stades, nos rues et nos villes, mettant en péril la santé des Marocains.

 Outre les sanctions sportives que le Maroc encourt, la décision prise par le gouvernement a d’autres effets sur l’image du pays. Au moment où le royaume revient en force sur la scène africaine, en multipliant sa présence économique et politique sur le continent, et en se positionnant comme une puissance régionale, on risque, si cette décision est maintenue, de passer pour un pays arrogant et méprisant envers l’Afrique. Une image qu’on a traîné pendant des années en tournant le dos au continent noir et en boycottant les instances panafricaines. Sur un plan national, l’argument qui se fonde sur le risque de propagation du virus Ebola renforce les pires clichés sur les ressortissants africains. Ces derniers seront associés, dans un imaginaire collectif déjà nourri de stéréotypes à leur égard, aux épidémies et aux maladies. Une stigmatisation de plus, dont tout le monde aurait bien pu se passer.