Le ministre de la Communication Mustapha Khalfi a signé le 15 octobre une convention avec le directeur de l’Institut des études et des recherches en arabisation (IERA) pour créer un observatoire des médias et des langues. Il concerne tous les supports, écrits et audiovisuels. L’objectif est de lutter contre le mélange des langues dans une même conversation ou un même programme. Mohammed El Ferrane, président de l’IERA, déplore par exemple « le mélange dans la publicité de la langue arabe, française et parfois anglaise ». Il parle à ce sujet d’ « anarchie linguistique » qui « influe négativement sur la bonne pratique de la langue chez monsieur tout le monde », en insistant sur l’influence des médias sur l’apprentissage de la langue, chez les enfants notamment.
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Le linguiste, qui avoue que la question linguistique est un « problème politique », nous assure que l’instance ne s’intéressera pas seulement à l’arabe, qui ne sera pas question de promouvoir par rapport aux autres langues : « l’observatoire a pour ambition d’assurer la bonne pratique des langues arabe et amazighe […] les langues modernes, telles le français, l’espagnol et l’anglais auront aussi leur place ». Pour lui, « dans notre société, chaque langue a sa fonction ». Pas question, donc, de condamner les séries en darija, par exemple. » L’arabe marocain s’est beaucoup dégradé et c’est notre rôle de linguistes de l’aménager pour limiter cet état « , ajoute-t-il.
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L’observatoire s’engage à produire chaque année un rapport sur le bilan linguistique des médias marocains. Le document n’épinglera pas nommément tel ou tel média mais restera un « document de synthèse des fautes rencontrées ». Aussi, l’instance, composée de linguistes et journalistes, prêtera assistance aux médias demandeurs lorsqu’ils éprouvent des problèmes à traduire des nouveaux mots anglais (du lexique d’Internet ou des nouvelles technologies par exemple), en arabe.
Un personnage important de l’administration Clinton, David Rothkopf, avait assez bien
résumé les ambitions de Washington dans le numéro de l’été 1997 de la revue « Foreign Policy »:
“Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais; que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de télécommunications, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines; que, si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissent. »
Autrement dit, les « Américains » doivent se sentir à l’aise partout comme chez eux, même si leur présence indispose les peuples concernés.
Lors d’une conférence prononcée à l’Université de Stanford le 19 juillet 2000, Margaret Thatcher avait dit : “Au XXIème siècle, le pouvoir dominant est l’Amérique; le langage dominant est l’anglais; le modèle économique dominant est le capitalisme anglo-saxon. »
En fait, des accords secrets avaient eu lieu dès 1961 à Cambridge entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. Deux ouvrages du professeur Robert Phillipson, qui a occupé diverses fonctions au sein du British Council et qui a acquis la nationalité danoise, traitent de l’origine et de l’évolution de cette politique linguistique : « Linguistic Imperialism » (1992) et « Linguistic Imperialism Continued » (2010). Il s’agissait bien de formater les cerveaux afin d’amener les peuples à penser, se conduire, consommer « à l’américaine », à s’aligner sur les pays dominants de l’anglophonie. Nous voyons aujourd’hui les méfaits de cette politique à travers le monde et, même en France, nous subissons de plus en plus cette domination de l’anglais, pour ne pas dire cette dictature. Première femme élue à la présidence de la
république d’Islande, francophile, Mme Vigdis Finnbogadottir avait exprimé cet avis en 1977 :
« Il est temps déjà que les diverses nations comprennent qu’une langue neutre pourra devenir pour leurs cultures un véritable rempart contre les influences monopolisatrices d’une ou deux langues seulement, comme ceci apparaît maintenant toujours plus évident. Je souhaite sincèrement un progrès plus rapide de l’espéranto au service de toutes les nations du monde. » Trop de temps s’est écoulé depuis sans que les tabous soient levés.
La décision marocaine est donc bienvenue. Espérons qu’elle fera école et encouragera une réflexion sur la nécessité d’une langue internationale de communication commune, neutre et conçue pour ce rôle entre tous les peuples et toutes les nations.