Dans la nuit du 21 ramadan de l’an 40 de l’Hégire (661 de notre ère), le calife Ali Ibn Abi Taleb se rend à la grande mosquée de Koufa, en Irak, pour y diriger la prière. À l’entrée de la mosquée, un homme tapi dans le noir le guette. Quand Ali arrive, cet homme le surprend et le frappe à la tête, avec une épée dont la lame a été soigneusement enduite de poison. Trois jours plus tard, le quatrième calife de l’islam succombe à ses blessures. L’assassin, Abderrahman Ibn Mouljim, est un membre de la secte des kharijites, groupe extrémiste qui reproche à Ali de ne pas respecter la loi de Dieu. Lui, Ali, cousin et gendre du prophète Mohammed, l’un des premiers à avoir embrassé l’islam, accusé d’être un mauvais musulman ! Inconsolables d’avoir perdu leur chef, les partisans de Ali décident de punir sévèrement le criminel. Ils lui coupent alors les mains, les pieds et lui crèvent les yeux. Pendant tout son supplice, Ibn Mouljim reste imperturbable et stoïque. Pas un cri, ni une larme. Il ne cesse de réciter, à haute voix, des versets du Coran. Mais quand on veut lui arracher la langue, il hurle, se démène et refuse « de rester un jour sur terre sans pouvoir prononcer le nom de Dieu ». Il vit en extrémiste et meurt en fanatique.
L’histoire de cet homme, et de la secte des kharijites en général, nous éclaire sur les horreurs et les crimes commis actuellement par « l’État islamique » en Syrie et en Irak. Au-delà des jeux de pouvoir et des stratégies des différentes puissances régionales, il y a un fait, une évidence qu’il ne faut pas escamoter : le fanatisme a toujours fait partie de l’histoire de l’islam, comme de toutes les autres religions d’ailleurs. Les combattants de « Daech » – qui coupent les têtes de leurs adversaires, massacrent des civils, posent devant des cadavres et filment des scènes de décapitation – parlent et agissent au nom de l’islam et à l’intérieur de ses textes et de son histoire. Ils reproduisent des modèles qui ont déjà existé, lisent et interprètent le Coran et la tradition du prophète selon leur compréhension et leur vision du monde. Ils sont aussi musulmans que vous et moi. Dans un réflexe de rejet et de défense, on aime répéter que l’islam, ce n’est pas ça, que c’est une religion de paix et d’amour, et on apporte des arguments, souvent justes et pertinents, pour le prouver. Or, c’est une démarche totalement vaine et inutile. L’islam n’est ni une religion de paix, ni de guerre, ni d’amour, ni de haine. Il est ce qu’en font ses fidèles en fonction de leurs culture, éducation, perception et sensibilité personnelle. Il peut être à l’origine d’une grande civilisation et de magnifiques avancées morales et culturelles, comme il peut justifier les pires monstruosités et barbaries. Et en cela, il n’est pas différent des autres religions. À l’image du christianisme par exemple, capable d’enfanter Saint-François d’Assise et Mère Teresa, des exemples de générosité humaine et de charité, comme il est capable d’engendrer l’Inquisition et les Croisades. Une face transcendante et lumineuse qui cohabite avec une part maudite et obscure, pour toujours.