Tu ne regardes pas forcément la télé locale. Sauf s’il y a un évènement royal majeur. Les journaux, ça ne te traverse même pas l’esprit de les acheter. Mais tu as besoin de savoir ce qui se passe dans le monde. Tu refuses de te sentir déconnectée. Du coup, l’actualité, tu la lis en ligne et en diagonale. C’est tout de même prodigieux tous ces sites qui condensent les news. Internet a eu cet impact merveilleux sur ta vie : il t’a apporté l’illusion du savoir et comblé ton impatience. Parce que dans le monde 2.0, tu as besoin que tout aille plus vite. Tu ne veux surtout pas perdre ton temps, pas que tu aies grand-chose à foutre dans l’absolu mais tout de même ! Alors tu veux tout savoir tout de suite. Et au pire, si tu ne sais pas, il y a Wikipédia. Et ce n’est pas si grave si parfois c’est un peu n’importe quoi. C’est en ligne donc c’est vrai ! Ça ne se discute pas. Du coup, tout est vachement plus rapide, mais tout le temps gagné se perd aussi vite vu les heures que tu passes à mater des vidéos débiles ou à scroller l’écran de ton smartphone comme pour te mettre à jour. A croire que tu es aussi importante que Ban Ki Moon, Anna Wintour et la présidente de la Croix Rouge réunis, et qu’il ne faut surtout pas que tu rates un fait marquant.
Ce qui te plaît le plus c’est que toute information est une opportunité potentielle d’exprimer ton avis, que tu crois toujours être le bon, même si tu n’as plus vingt ans. Parce que bien entendu tu as un avis sur tout et n’importe quoi, sans aucune connaissance des tenants et aucune envie de te pencher sur les aboutissants. Tu n’as pas d’esprit critique. A quoi bon ? Sur Internet, on n’analyse pas, on commente. Et pour ça, tu as juste besoin d’avoir l’impression de savoir faire une phrase à peine pertinente. Un article dont tu n’aurais lu que le titre, une vidéo que tu n’as pris le temps de regarder jusqu’au bout, un dessin que tu n’as pas forcément compris, tout peut être critiquable. Mais plus que le contenu, c’est l’auteur que tu prends un plaisir sournois à descendre. Et à défaut de le dire haut et fort, tu prends le temps de l’écrire. Seule face à ton écran, drapée dans ton anonymat, tu t’en donnes à cœur joie. C’est tellement facile de critiquer. C’est tellement jouissif aussi. Alors tu t’indignes. De la frustration qui s’exprime, de la haine qui se déverse et des flots d’injures. Dans ce bas monde virtuel, tout est permis sauf le courage. Tu te crois acerbe mais, bien entendu, tu serais incapable de redire ces insultes si d’aventure tu croisais la personnalité visée en soirée ou dans une boutique. Et puis, surtout, dans cette arène des temps modernes, tu n’es pas seule. L’effet de meute guette. Tu te dois de détester parce qu’il est de bon ton de détester. Comme il est de bon ton d’idolâtrer certains faiseurs d’idées ou débiteurs d’idioties populistes mais bien formulées. C’est un peu la réunion des aigris anonymes. Tu y retrouves les pas très jolies mais très gentilles, les coquettes qui ne supportent pas leurs premiers cheveux blancs, les mecs aux ventres mous qui réalisent qu’il est trop tard pour qu’ils fassent quoi que ce soit d’extraordinaire de leur vie tristement ordinaire. Et ça te fait tellement de bien de dire des horreurs sur Gisele Bündchen, ton iPad bien calé sur tes cuisses flasques.
Et un jour peut-être la roue tournera. Et ce sera à toi que les rageux du Net s’en prendront. Alors tu ne les affronteras pas. Ne connaissant que trop bien leur jouissance, pour l’avoir éprouvée. Tu seras la cible de cette inquisition virtuelle. Ça te fera sourire. Tu penseras au temps perdu à cracher du venin. Certains écriront même peut-être un article de blog ou un post Facebook juste pour t’attaquer. Ta prof de reiki t’a appris qu’au Japon, « celui qui sourit au lieu de s’emporter est toujours le plus fort ». Alors tu souriras. Finalement ce n’est pas une si mauvaise chose, ça prouve au moins que tu ne passes pas inaperçue. Et puis, faire l’unanimité c’est prendre le risque de perdre son humanité.