Un discours rêvé

Par Abdellah Tourabi

Puisque le rêve est permis et que rien ne nous empêche, en cette période de vacances, d’envisager différents scénarios pour la rentrée, imaginons la scène suivante : après avoir pris quelques semaines de congé, où il a pu méditer sur son bilan à la tête du gouvernement, Abdelilah Benkirane réunit son équipe pour leur exposer ses résolutions et sa nouvelle ligne de conduite. Voici le discours qu’on aimerait entendre :

« Chers frères et sœurs, comme vous le savez, notre gouvernement a été porteur de grands espoirs pour beaucoup de Marocains. En votant pour nous, ils aspiraient à des réformes radicales, une guerre implacable contre la corruption, un service public qui respecte leur dignité et des lois qui les protègent contre l’injustice et les abus. Nous n’avons pas le droit de les trahir et de les décevoir. En examinant mon bilan et en écoutant les critiques fondées et de bonne foi, j’ai décidé de changer de conduite et de rectifier quelques erreurs.

Désormais, je ne céderai plus à mes impulsions, à cet instinct querelleur qui me porte vers la petite phrase, le commentaire cinglant et le goût de l’affrontement. Mes discours seront ceux d’un homme d’État, responsable et rigoureux, qui ne succombe pas à la tentation du populisme et de la démagogie. Car un mensonge ou une fausse promesse finissent toujours par rattraper leur auteur et le sanctionner, surtout quand il se drape dans les habits de la vertu et du discours religieux. J’agirai aussi, pour le reste de mon mandat, en Chef de gouvernement et non pas en chef de parti ou de clan. Nous perdons beaucoup de temps et d’énergie dans des débats oiseux et stériles, sur les valeurs par exemple, dont le seul but est de flatter le conservatisme de nos militants et sympathisants et leur signifier que nous n’avons pas changé. J’ai aussi décidé de me faire entourer de profils compétents, qui disposent d’un savoir-faire technique et de grandes qualités intellectuelles, même lorsqu’ils ne partagent pas ma ligne idéologique. Le cabinet d’un Chef de gouvernement ou d’un ministre n’est pas une section de parti ou une assemblée de militants, mais un foyer d’excellence et de production d’idées et de stratégies. Des hommes et des femmes qui me permettront d’affronter la morgue et le dédain des technocrates qui estiment appartenir à «la race des seigneurs» et se gaussent quand je parle d’économie et des grandes orientations stratégiques du pays. Dorénavant, j’affirmerai mon autorité de Chef de gouvernement et je défendrai les attributions qui me sont consacrées dans la Constitution. Je dispose d’une légitimité démocratique, dont peu de mes prédécesseurs pouvaient se prévaloir, et je ferai en sorte que cette légitimité soit respectée et protégée. Car il ne s’agit pas de ce gouvernement ou de ma personne, mais de toute une pratique et culture démocratiques qu’il faut mettre en place et renforcer. Enfin, je m’attaquerai réellement à l’hydre de la corruption qui gangrène le pays et le détruit. Je demande donc au ministre de la Justice d’engager des poursuites contre ceux qui se sont enrichis de manière illicite, en vidant les caisses de l’État et en profitant de leurs fonctions. Le Maroc peut être clément et magnanime, mais pas à l’égard des voleurs et des corrompus. Merci pour votre attention. »