Zakaria Boualem a été horrifié par l’effondrement des immeubles de Bourgogne. Pour notre héros, claustrophobe notoire, il n’y a pas de pire mort qu’une lente asphyxie dans les décombres, et c’est bien ce qu’ont vécu les plus malheureux habitants de ces funestes résidences. Le Guercifi, qu’on peut difficilement suspecter de méconnaître la triste réalité de Maroc SARL, a encore une fois été surpris par le niveau stratosphérique de notre incompétence. Tout dans cette affreux drame est choquant. Le bilan qui ne cesse de s’alourdir – nous en sommes actuellement à 23 disparus –, la lenteur des secours, la faiblesse des moyens… Mais aussi l’accueil fait aux victimes à l’hôpital, où on leur a demandé de payer leurs médicaments. Et que dire de l’incarcération en toute urgence d’un simple maçon, une décision grotesque, qui prêterait à ricaner si nous ne baignions pas dans le drame. C’est notre destin d’avoir un système de justice qui oscille en permanence entre deux attitudes contradictoires, l’impunité totale ou la recherche brutale d’un bouc émissaire. Puis il y a eu les déclarations d’un spectaculaire illuminé, qui est venu nous expliquer qu’ils seraient encore vivants s’ils étaient allés à la mosquée pour la prière d’Al fajr. Déclarations aussitôt rapportées aux victimes par 2M, soudain soucieuse de défendre l’honneur bafoué des Marocains. On est incapable d’identifier avec certitude ce qu’il y a de pire : les déclarations ou leur instrumentalisation. Si un étranger venait étudier notre pays, cet effondrement lui servirait sans doute de résumé saisissant de toutes nos faiblesses.
Oui, nous sommes dans les ténèbres, c’est désormais une réalité presque physique. Si les Marocains avaient besoin d’un nouvel exemple pour mesurer l’ampleur du mépris que nous porte notre pays, cette catastrophe est tout indiquée. Mais nous n’avons pas besoin d’un nouvel exemple. Nous savons tous, comme Zakaria Boualem, qu’il n’existe chez nous rien qui ressemble de près ou de loin à un service public. Quelque chose qui ait été sincèrement conçu pour le bien des gens, financé avec l’argent public, disponible et efficace… Cette chose n’existe pas chez nous. L’exploit, ce n’est pas d’avoir construit le Maroc en oubliant le Marocain, mais bien de l’avoir convaincu, en plus, que c’était parfaitement normal, qu’il devait s’abstenir de grogner parce qu’il s’est vu offrir l’offrande suprême : la stabilité . Qu’il ne doit s’attendre à rien de gratuit, jamais ! Que l’inacceptable est acceptable. Oui, les ténèbres…
Lorsqu’un citoyen souhaite aménager son appartement, ou modifier sa configuration, il ne se dit jamais que les entraves placées par l’administration sont des contrôles prévus pour son bien. Tout d’abord parce que son bien n’a jamais été une de leurs préoccupations, il le sait bien, le bougre. Ensuite parce qu’il devra graisser des pattes, même si les aménagements en question ne posent pas de problèmes de sécurité. Comme ce qui est impossible devient soudain possible avec quelques billets, nous sommes bien en mal de repérer ce qui est vraiment dangereux de ce qui est déclaré dangereux pour augmenter la mise. Oui, la notion de sécurité des personnes, comme celle de service public, n’existe pas chez nous. Ou plutôt si, mais elle est payante.
Zakaria Boualem est profondément déprimé. Parce que tout ce qui a été écrit ici est connu et rabâché, et surtout parce qu’il n’a rien à proposer pour s’extirper de ces ténèbres. Nous ne savons même pas par où commencer, c’est affreux. Ce qu’il était possible de feindre d’ignorer hier s’exhibe désormais avec obscénité sous nos yeux, par la puissance des réseaux sociaux.
Voilà, il n’a rien à ajouter, sinon ses condoléances les plus sincères aux familles de victimes.