Il était une fois une grenouille qui nageait paisiblement dans un petit bassin d’eau claire. Toute heureuse de trouver un endroit calme où s’ébattre tranquillement, elle n’avait pas prêté garde aux petites flammes sur lesquelles reposait le fameux bassin : sous la marmite, un feu est allumé. L’eau chauffe lentement. Bientôt, elle devient tiède. La grenouille trouve cela agréable et continue de nager, heureuse et relaxée. L’eau est maintenant chaude, plus que ne le souhaiterait la grenouille mais, un peu fatiguée, elle prend son mal en patience et ne s’affole pas. Sauf que l’eau est désormais vraiment chaude. La température en est presque insupportable. Mais la grenouille est trop affaiblie pour sauter hors de la marmite. Elle regrette de ne pas avoir fui plus tôt et attend, immobile et résignée, d’être cuite pour de bon.
Certains d’entre vous auront sans doute reconnu dans cette petite histoire la fameuse « allégorie de la grenouille » qui repose sur les résultats d’une expérience scientifique effectuée pour la première fois à la fin du XIXe dans une université américaine. Le principe et les conclusions en sont simples : « Une grenouille vivante peut être bouillie sans qu’elle bouge si l’eau est chauffée assez lentement ». Dans cette expérience, la température a été augmentée de 0,002°C par seconde et la grenouille a été retrouvée morte au bout de 2 heures 30 sans avoir bougé. Certes, si par la suite, l’expérience n’a pas toujours été tentée avec le même succès, elle a néanmoins une postérité hors normes. Le destin tragique de la grenouille qui meurt ébouillantée sans même tenter de s’enfuir a en effet inspiré nombre de commentateurs, comme l’ancien vice-président américain Al Gore, qui s’en est servi pour illustrer la manière dont l’humanité risque de précipiter sa fin si elle ne réagit pas rapidement au réchauffement climatique. L’expérience scientifique de la grenouille dans la marmite est ainsi devenue une fable des temps modernes, avec sa chute et sa morale. Elle montre que lorsqu’un changement négatif s’effectue de manière suffisamment lente, il échappe à la conscience et ne suscite la plupart du temps ni réaction ni révolte.
Au Maroc, nous ne connaissons que trop bien cette fameuse allégorie puisque voilà maintenant plusieurs décennies que mijote la marmite islamiste. Les grenouilles qui, dans les années 1970 ou 1980, faisaient bronzette sur la plage, sortaient en mini-jupes, allaient au café entre copines et circulaient fièrement dans les rues, sont aujourd’hui bien engourdies, chargées qu’elles sont du poids de la culpabilité, celle d’être différentes, voire inférieures, dans une société oppressante. La tentation de la résignation est bien là. Chez nous aussi, la température est en effet montée progressivement. On a d’abord interdit à nos jeunes de philosopher à l’école, puis on a semé la graine de la religion qui a elle-même fleuri sur celle de l’ignorance, alors on a réclamé plus de mosquées, nos rues ont entendu l’écho du muezzin résonner toujours plus fort, nos immeubles et nos rues sont devenus des lieux de prière à ciel ouvert. Cette religion d’apparences, instrumentalisée par de faux dévots arborant barbe hirsute et dollar au front, s’est immiscée dans tous les espaces libres laissés par la défaite de la raison et la démission de l’esprit critique. A tel point que, si nous voulions être cyniques, il ne faudrait même plus nous comparer à ces gentilles grenouilles qui cuisent lentement et en silence, mais à un troupeau de moutons qui, le jour du sacrifice, bêleront à la mort, bêtes et impuissants, sous le couteau du boucher. N’est-ce pas là après tout la promesse du nouveau « calife de tous les musulmans » dont nous avons tous entendu parler ?