L’engagement de Myriam Soussan et Laurent Moulin pour une architecture intégrée à son environnement n’est pas un simple argument marketing dans l’air du temps mais bel et bien un serment ancré dans leur conception du métier. D’ailleurs, si le client n’épouse pas leurs valeurs, ils préfèrent ne pas participer au projet.
De l’Arte Povera, ils font un pamphlet pour dire que tout est possible et que l’écologie n’est pas forcément hideuse. Du Land Art, ils s’inspirent pour bâtir au cœur de la nature sans la travestir. Deux mouvements auxquels ils se greffent très tôt sur les bancs de la faculté à Paris. En effet, dès la deuxième année, Myriam se plonge dans la thèse que prépare Laurent. Et leurs influences et convictions se mettent d’emblée au diapason. Plus qu’une sensibilité écologique, il s’agit pour eux d’une conscience politique autour de la pérennité de la planète. Leurs parcours respectifs y sont certainement pour quelque chose.
Parcours nomades, passions communes
Durant son enfance, Laurent a sillonné l’Afrique noire, l’Égypte, Dubaï… accompagnant un père ingénieur qui construisait des ponts et des routes. “J’ai découvert Paris après le bac”, ironise Laurent. Myriam est née en France, y a vécu jusqu’à ses huit ans avant de regagner Rabat, terre de ses aïeuls, où elle réside jusqu’à l’obtention de son baccalauréat au lycée Descartes.
Après leurs études supérieures, le couple décide de rejoindre le Maroc en 1999. Le royaume est loin d’être un choix hasardeux. Les architectes veulent travailler la terre et sont persuadés de pouvoir s’y consacrer sans entraves. Seulement voilà, “il nous a fallu du temps avant de pouvoir construire notre première maison en terre il y a trois ans. Il faut dire que plus personne n’est capable aujourd’hui de bâtir un ksar de cinq étages comme vous en trouvez dans le Sud. Le savoir-faire est en perdition, hélas !”, s’indigne l’architecte français. “On ne savait pas si on allait rester ou partir en quête d’autres expériences dans d’autres contrées”, souligne Myriam.
Voilà pourtant quinze ans aujourd’hui que le couple a renoncé au nomadisme et s’est installé au Maroc. Mais ce n’est que l’année dernière que le duo a achevé la rénovation de la première maison autonome du royaume. Après y avoir habité quelque temps, ils ont décidé de la mettre en location, préférant la nature du Sud où ils ont construit une petite maison d’hôtes tout aussi autonome.
Un havre minimaliste et modulable
Pour accéder à cette maison autonome située à Rabat, il faut emprunter une des grandes portes des remparts. Après avoir traversé Bab Chellah, il suffit de longer la rue la plus large du quartier pour arriver à Souika, où les commerces abondent. Une fois au cœur du tumulte, il ne faut surtout pas manquer le dédale qui mène à la rue Sidi Maâti. Hormis le chahut des enfants durant la récréation, le calme règne sur cette vieille cité peu prisée par les touristes.
Une partie du riad de Myriam et Laurent jouxte l’école du quartier. TIG3, de Tigmi qui signifie maison en berbère, est la seconde demeure acquise par le couple à son arrivée au Maroc. Une porte chaulée de blanc s’ouvre sur un petit jardin. Un fauteuil vous indique qu’il faut ôter vos chaussures. Dès l’entrée, la couleur est annoncée. Au milieu des galets et de la végétation sauvage, l’escalier en bois mène directement au premier étage. Le riad est étonnant de simplicité. Le hall où nos hôtes nous accueillent est constitué d’un sol mou et de quelques meubles d’un blanc immaculé. “Un véritable retour à l’ancêtre du salon marocain qui n’a rien à voir avec celui que l’on voit partout aujourd’hui”, selon Laurent.
Un havre minimaliste, modulable à l’envi et multifonctionnel, avec un bout de ciel en guise de plafond. Nos hôtes nous décrivent la singularité de chaque élément de ce riad vieux de deux siècles. Laurent évoque, non sans émotion, le désastre de la promotion immobilière. “L’architecture n’est autre qu’un métier de synthèse, assène Laurent. Il faut permettre aux gens de vivre ensemble. Et pour ce faire, il faut travailler sur tout ce qui peut mettre en jeu la nature et arriver simplement à une cohérence. Le cheminement que prend le monde en matière d’urbanisme et d’habitat est juste effrayant lorsqu’on sait qu’on est à 80 % de déforestation, qu’il n’existe plus aucune rivière non polluée…”
Un tour du propriétaire et l’on comprend que si un tel exploit a été possible en pleine médina, avec une aussi forte densité, il paraît aisé de construire des villes vertes partout au Maroc. Le must, ce sont les verrières qui éclairent ou protègent (selon la météo) les deux patios de la maison et une baignoire qui donne l’impression de flotter dans le vide. La température, quant à elle, est aux alentours de 20 degrés toute l’année grâce à ces baies amovibles et aux stores.
Autonomie énergétique, panneaux solaires photovoltaïques, double vitrage, récupération des eaux de pluie dans une citerne, filtres permettant d’obtenir une eau de qualité alimentant cuisine et salles de bain, eaux grises traitées par phytoépuration, toilettes sèches à déshydratation, matières organiques et déchets compostés sur la terrasse, compost alimentant plantes et potager… ici, tout a été pensé pour préserver la planète sans négliger l’aspect pratique ou esthétique.
Felfla land
Le concept épouse parfaitement l’écosystème de cette arganeraie à mi-chemin entre Essaouira et Agadir. Le terrain en forme de poivron lui a donné son nom. Original et pertinent, cet “hôtel mobilier” de 160 m² a été construit sur un terrain de 1,6 hectare que le couple avait acquis en même temps que la maison de Rabat.
Myriam et Laurent ont décidé de s’établir sur cette route côtière, où les précipitations sont plutôt rares et où l’ensoleillement atteint son paroxysme, afin de démontrer que l’autonomie peut être obtenue là où on le décide. Il suffit d’un brin d’ingéniosité et d’une énorme volonté, car la gratification ne s’obtient que sur le long terme, lorsque les propriétaires du logement autonome n’ont plus aucune facture à payer.
Myriam et Laurent ont imaginé une architecture épurée et fonctionnelle qui intègre les cycles naturels. Conçue tel un meuble mais à l’échelle d’un bâtiment, Felfla se présente comme un ensemble de tiroirs renfermant tous les espaces composant l’hôtel, entièrement modulable. “Fermée, Felfla est un cube dont la blancheur renvoie les perçants rayons du soleil. Un pont-levis au bras articulé vous invite à pénétrer en son intérieur, vous livrant un premier aperçu de l’originalité du lieu”, explique Myriam Soussan.
Les cinq chambres de l’hôtel s’ouvrent et se ferment au gré des besoins et des envies des clients. Le confort n’est pas en reste. C’est même l’un des maîtres-mots de l’établissement. Entre TIG3 et Felfla, impossible de ne pas prendre conscience de la richesse mais surtout de la fragilité de notre planète. Véritables pionniers au Maroc, ces architectes d’un nouveau genre nous montrent par l’exemple la voie à suivre pour la préserver.
PROPOS RECUEILLIS PAR ASMA CHAÏDI BAHRAOUI
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