L’image est insoutenable de cruauté : un navire de guerre israélien qui s’approche de la côte de Gaza et tire des obus, sans discernement, en direction des chaloupes de pêcheurs alignées sur le sable. Des enfants insouciants, qui jouent au foot sur la plage, sont surpris par l’attaque. Ils courent pour échapper aux tirs et à la mort. Un missile lancé par le navire israélien les fauche dans leur course et les tue sur le champ. Quatre petits corps, inanimés et ensanglantés, témoins de la barbarie d’un État arrogant qui se targue encore d’être la seule « démocratie » du Moyen-Orient. Une autre image, à valeur d’icône, qui illustre le drame palestinien face à un adversaire qui jouit d’une impunité totale et qui se permet tout. Les habitants de Gaza sont laissés à leur propre sort, devant une machine de guerre israélienne, guidée aveuglément par un Premier ministre qui n’a jamais voulu de paix dans la région, et un gouvernement raciste, à l’image de son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liberman.
Mais le drame palestinien se situe aussi à un autre niveau, celui des forces politiques dans le monde arabe, qui prétendent soutenir cette cause et la défendre. Pendant des décennies, la question palestinienne est devenue un véritable fonds de commerce politique, pour les régimes, les partis de gauche et le mouvement islamiste. Au Maroc, cette cause a toujours servi à des organisations politiques de tout bord pour mobiliser les gens et démontrer leur capacité à rassembler des milliers de Marocains dans des manifestations et des meetings. Cette récupération politique profite du sentiment sincère et viscéral de solidarité chez les citoyens marocains à l’égard des Palestiniens. Un sentiment généreux qui voit dans l’occupation israélienne et le martyre de tout un peuple, l’incarnation de l’injustice et de l’oppression. Il n’est pas anodin ni fortuit que les plus grandes manifestations au Maroc aient été organisées sous la bannière du soutien à la cause palestinienne. Mais dans l’esprit de nombreux partis et organisations politiques, il s’agit plutôt d’une aubaine pour s’offrir une visibilité, une identité militante et un moyen de mobilisation à bon compte. Au fil des années, cette question est devenue partie intégrante du folklore politique marocain et un terrain absurde de rivalité et de surenchères entre les gauchistes et les islamistes. Le spectacle indécent, dont l’auteur de ces lignes a été témoin le week-end dernier, est un parfait exemple de cette concurrence. Lors d’un sit-in de solidarité avec les victimes de Gaza, à Casablanca, les militants de gauche ont préféré ne pas se mélanger avec les activistes islamistes, notamment ceux d’Al Adl Wal Ihsane, et ont attendu que ces derniers finissent d’entonner leurs slogans pour tenir leur propre sit-in. La même cause, la même impunité à dénoncer et le même peuple à soutenir, sacrifiés sur l’autel des calculs politiciens et des appartenances idéologiques.