Le vrai rêveur serait celui qui rêverait de l’impossible. Or comme l’impossible ne s’achète pas, tu ne rêves pas vraiment. Du coup tu déprimes. En plus, à bien y réfléchir, Ramadan, c’est un peu le février de l’été. Ce genre de mois charnière où le temps et les énergies basculent. Et en bonne égocentrique qui se respecte, tu te regardes le nombril. Et fatalement, tu déprimes. Encore plus que d’habitude. Parce qu’en plus, en ce moment, il faudrait être sain de bouffe et d’esprit. Mais surtout de corps, parce que l’esprit, moyen… Et puis le corps, à bien y regarder, c’est pas terrible non plus. En gros, ce mois te tiraille. En plus, tu ne sais pas trop où placer ton curseur de religiosité. Parce que la tolérance, l’amour, le respect, la paix, forcément, tu adores et tu adhères. C’est un peu comme les musiques sacrées, la méditation, les tisanes apaisantes, tu trouves ça vachement bien. Mais les barbus, l’ascèse et tous les trucs austères, tu as du mal. Bref, tu doutes. Et dans le doute, tu ne t’abstiens pas : tu te poses des questions.
La vie, c’est maritime. Ton humeur est un peu comme les marées. Avec dans le rôle de la lune influente, les mecs, ta famille aussi nombreuse que pénible, les plans foireux et autre contrariétés en tout genre. Pour te sentir mieux, heureusement qu’il y a les médocs. Oui, tu prends des médocs parce que ton taux de sérotonine est inconstant. Non, tu n’as pas fait d’analyses très poussées pour le savoir. Tu n’as pas que ça à foutre ! Tu l’as lu dans un super magazine. Et tu as été confortée par tout ce que tu as trouvé sur les groupes Facebook et autres forums sur lesquels tu as trainé ton ennui à coup de clics compulsifs. C’est tout de même formidable Internet : tu as pu découvrir que la sérotonine est impliquée dans la régulation de plusieurs fonctions physiologiques comme le sommeil, l’agressivité, les comportements alimentaires et sexuels, et que son taux est responsable de la dépression. Et en plus, tu ne sais plus qui, mais sans doute quelqu’un de bien, a dit un jour que « la souffrance est inutile », du coup tu ne vois absolument pas pourquoi toi, tu devrais souffrir alors que les progrès de la science sont tels que des petites pilules du bonheur existent. Mais tu ne vas pas voir de psychiatre. Tout de même pas. C’est pour les fous. Toi, tu n’es pas folle, tu doutes. Alors tu vois un psy. C’est sans doute un des très rares moments ou tu as l’impression d’être presque sincère. Et puis l’époque veut ça.
Tout le monde consulte un psy. Ça te convient parfaitement. Tu te plains, tu te lamentes, et tu dépenses de l’argent : tes activités favorites. Tout ce qu’il te faut pour te sentir en vie… Et pour la supporter, ta vie sans gloire, tu as besoin de médocs. Ton psy n’est pas habilité à t’en prescrire, et alors ? Ton généraliste l’est. Il te refourgue bien des antibiotiques dès qu’il t’entend tousser au téléphone sans même que tu n’aies à passer par la consultation. Et au pire, il y a toujours le père du beau-frère de Zee qui n’est pas avare en ordonnances et certificats médicaux bidons. De toute façon, tu ne peux plus t’en passer. Mais au moins personne ne te prend pour une droguée. Et puis quand tu t’aventures à faire des petits mélanges, c’est presque aussi marrant que l’ecsta, la bienséance en plus. Parce que tu vis dans un monde où peu importe la défonce pourvu que les apparences soient impeccablement conservées.