Le problème dans les récentes élucubrations de notre Chef de gouvernement devant le parlement n’est pas tant qu’il ait comparé nos chères compatriotes féminines à un « lustre » ou à un « astre ». N’allons pas lui chercher querelle pour savoir s’il les a assimilées à un ornement que les hommes se saignent pour obtenir ou à un objet céleste et éclatant qui nous illumine de sa pureté. Peu importe qu’il se soit montré vulgaire en se voulant terre à terre, ou qu’il se soit dévoilé pudibond en se rêvant spirituel. Simplement, n’en déplaise à Benkirane, nos femmes ne sont ni des lustres, ni des astres, mais juste nos égales. Peut-être souhaiterions-nous qu’elles illuminent notre foyer ou éclairent notre conscience. Mais cela en dit plus sur nos propres fantasmes que sur les désirs de nos moitiés. Et surtout, jamais nous ne leur assignerons d’autre rôle que celui qu’elles auront elles-mêmes choisi.
Le chemin de l’émancipation des femmes est partout long et sinueux. Il emprunte des voies détournées et se perd parfois dans des impasses. Dans certaines sociétés, notamment occidentales, la plupart des revendications féministes ont été satisfaites, des plus banales à celles qui nous semblent encore aujourd’hui les plus étranges : droit de vote, droit au travail, au divorce, à la contraception, à l’avortement, à l’héritage, à une sexualité libre, etc. En Occident, le vote, le travail et la sexualité ont ainsi souvent été perçus comme les instruments d’une libération féminine tous azimuts, à la fois politique, économique, culturelle et sociale. En Occident, l’émancipation des femmes a aussi été celle du regard. Là-bas, une femme libre ne se cache pas, elle affronte les regards, même effrontés ou concupiscents. Elle n’est pas coupable des pensées d’autrui et assume d’être parfois un objet de désir. Le mot est prononcé : l’objet n’est-il pas la négation de l’humain ? Etre libre, est-ce cesser d’être femme et devenir chose ?
C’est parce qu’il n’a pas levé cette interrogation que le monde musulman ne semble pas jaloux du sort réservé aux femmes occidentales. Nous pensons souvent que nos femmes n’ont rien à leur envier. Nous pensons parfois que la vertu est une valeur que nous risquons de perdre sous les assauts répétés de la décadence et de la déliquescence des mœurs occidentales. Vu de chez nous, la femme occidentale a parfois juste changé d’aliénation. Trop souvent, le travail n’est pas vécu chez nous comme une libération mais comme un asservissement, la sexualité ne serait pas un épanouissement mais une addiction. Ce mode de pensée a ses soubassements. Il repose sur une utopie, celle d’un monde idéal, un paradis masculin qu’on voudrait imposer ici-bas. Jugez-en vous-mêmes : une société délivrée du souci de subsistance, où la femme ne travaillerait que pour son foyer et où elle ne jouirait et ne souffrirait qu’en procréant, une société peuplée de vierges et de mamans où serait effacé le péché originel de naître femme.
Ce tableau est en fait un dangereux mirage, c’est le portrait d’une société utopique et monstrueuse, où l’individu n’existe qu’à travers la fonction qu’il occupe dans le groupe. Ce monde normatif et idéel (plus qu’idéal) ignore les lois de l’évolution des sociétés. Il ne comprend pas que les voies de la liberté puissent être imparfaites, et que le chemin soit sans fin. C’est pourquoi, surtout en cette période de Coupe du Monde et même pendant le ramadan, je préférerais toujours un bikini volontaire à un voile contraint… et inversement.