En 1632, le physicien et astronome Galilée est présenté devant un tribunal de l’Église pour juger son cas. Le tort de ce grand et respectable savant : avoir soutenu l’idée que la Terre tourne autour du soleil, contrairement à la « vérité » dominante de l’époque qui considérait la Terre comme le centre de l’univers. Devant la menace de torture et la mort certaine qui l’attend, Galilée est contraint de renoncer à sa thèse et déclarer qu’il était dans l’erreur. Satisfaits des rétractations du physicien, les juges décident de l’acquitter. Mais en sortant du tribunal, Galilée, brisé mais profondément confiant en ses convictions, prononce cette phrase célèbre : « Et pourtant, elle tourne ». Quelques siècles plus tard, le monde a oublié les noms des juges de Galilée, mais il a gardé le nom de ce dernier et sa découverte scientifique. L’avis minoritaire de cet homme, à son époque, est devenu une vérité admise par tous. Cet exemple, et tant d’autres dans l’histoire, nous apprend qu’être minoritaire n’est pas synonyme d’égarement, d’erreur ou de faiblesse des arguments. De même qu’appartenir à une majorité ne signifie aucunement avoir raison.
Dans le débat politique marocain, on avance souvent la question de la minorité qui doit se plier aux choix de la majorité comme un argument massif et d’autorité. Selon cette logique, un avis ou une conviction minoritaire au sein de la société est forcément une source de désordre, de dissonance et de « Fitna ». Une cause soutenue par un petit groupe de personnes ou des valeurs défendues par une minorité sont alors perçues comme une quantité négligeable et une agitation sans poids ni impact. On reproche alors à ces personnes leur manque de représentativité politique et sociale et on les renvoie à leur « insignifiance » numérique. Une vision du débat et du monde que Tocqueville, le grand écrivain libéral, appelait « la tyrannie de la majorité » et présentait comme l’une des maladies de la démocratie et de la pratique politique. Ceux qui tiennent cet argument ont mal ou peu lu l’histoire du Maroc et du monde. La majorité des avancées scientifiques, culturelles et sociales ont été l’œuvre d’une minorité, patiente et déterminée, qui s’est érigée contre les idées dominantes et répandues. La société n’est pas une entité figée, inaltérable, où tout est gravé définitivement dans le marbre de la tradition et de la coutume. Il y a moins d’un siècle, au Maroc, l’opinion publique majoritaire était contre l’éducation des filles et leur accès à l’espace public. Sans oublier, évidemment, les avis des ouléma, très suivis à l’époque, qui interdisaient l’usage de la télévision, de la radio et même des trains, car c’était l’œuvre de l’étranger, chrétien et malintentionné. Des idées et des valeurs majoritaires il y a un siècle, mais complètement dépassées et désuètes de nos jours. Et, enfin, comment ne pas rappeler qu’à l’origine de l’islam lui-même, il y avait un seul homme, entouré d’une poignée d’hommes et de femmes, une minorité, qui ont dit « non » aux croyances de leur temps ? Ils sont plus d’un milliard de personnes aujourd’hui.