« Il est difficile de parler beaucoup sans dire quelque chose de trop », répétait souvent le roi Louis XIV. Une maxime que notre chef du gouvernement doit méditer plus souvent dans ses discours et prises de parole. Lors de son intervention devant la Chambre des conseillers, et au milieu de déclarations de bonnes intentions sur la revalorisation de la pension alimentaire et la situation des veuves au Maroc, Abdelilah Benkirane n’a pas pu s’empêcher de glisser des considérations rétrogrades et farfelues sur le travail de la femme et sa place dans la famille. À la tribune, c’était le chef du PJD et un homme en précampagne électorale, soucieux de flatter sa clientèle politique, qui s’exprimait. Selon lui, les femmes au Maroc « n’ont plus le temps pour se marier, devenir mère ou éduquer leurs enfants » depuis qu’elles ont quitté leurs foyers pour travailler à l’extérieur. Benkirane regrette ce qui lui semble être un âge d’or de la famille marocaine, où la femme était, d’après lui, un « astre lumineux » dévoué exclusivement à servir et entretenir son ménage.
Comme dans tout discours conservateur, Benkirane présente une vision mythifiée d’un passé qui n’a jamais existé. Les femmes heureuses dans leurs foyers, qui attendent benoîtement le retour des enfants de l’école et des maris d’une longue journée de labeur, leur servent un dîner préparé avec amour et affection, est un pur fantasme. L’histoire de la famille marocaine est faite aussi de domination masculine, de violence et surtout de dépendance économique et juridique à l’égard des hommes. Le divorce était perçu comme une honte et une femme devait subir humiliation et brimades pour ne pas vivre la disgrâce d’une répudiation. Le travail de la femme est venu justement la libérer et l’affranchir de cette dépendance, qui la réduisait au rang d’être subalterne. C’est grâce à l’accès à l’éducation et à l’emploi que les femmes marocaines affirment, tous les jours, qu’elles ne sont pas « mineures en intelligence et en piété » comme le veut une lecture dévoyée d’un célèbre hadith, souvent cité par des mâles désarçonnés et en quête d’une supériorité factice. Le travail de la femme est plus qu’une nécessité économique pour les familles, au moment où tout devient cher au Maroc, mais c’est aussi un impératif moral.
Dans le même discours, Benkirane revient à l’antienne des « valeurs étrangères » à notre identité nationale et religieuse. Selon le chef du gouvernement, la famille marocaine est menacée d’implosion par un modèle occidental importé. Sauf que sur cette question, Benkirane se trompe lourdement. Car il ne s’agit pas d’importer un mode de vie européen ou une famille made in Scandinavie, mais plutôt de valeurs universelles qui garantissent aux individus leur dignité et correspondent le mieux à notre époque. Si Benkirane se met à critiquer ces « valeurs étrangères », il doit aussi remettre en cause les notions de démocratie, de séparation des pouvoirs, de règne de la loi et de la Constitution, qui n’ont pas été le produit de notre tradition et de notre culture. « La vérité est la quête du musulman, là où il la trouve il doit se l’approprier », disait un hadith, que notre chef du gouvernement devrait également méditer.