Quand il était petit, Zakaria Boualem regardait à la télé les matchs de la Bundesliga. En ces temps reculés, notre glorieuse télévision nationale proposait à ses spectateurs hébétés une heure par semaine de ce football surpuissant. Le choix du verbe « proposer » est une pure figure de style, c’était en fait ça ou rien.
Ce spectacle hebdomadaire fascinait notre héros. Tout en eux était impressionnant. A commencer par le nom de leurs équipes, prononcées en arabe par un commentateur dont il n’a jamais pu détecter la nationalité. Borussia Mönchengladbach, par exemple, voilà une suite de syllabes suffisantes pour plonger un gamin de Guercif dans l’effroi. Mais il y avait aussi leurs tirs herculéens, leurs cavalcades vigoureuses, leurs coups de boule dévastateurs, ils avaient exactement tout ce que nous n’avions pas.
Hier soir, les Allemands ont piétinés les Portugais sans même avoir recours à l’intimidation physique. C’est qu’ils ont changés, les Allemands… Ils n’ont plus de Horst Hrubesch ni de Klaus Augenthaler (cherchez-les sur Google Images si vous êtes trop jeunes pour savoir de quel type d’individus il s’agit) mais avec les charmants Götze et Müller, ca marche très bien quand même, tbarek Allah 3lihoum. Au final, ils sont moins laids mais plus effrayants.
Pourtant, Zakaria Boualem trouvait les Portugais plutôt sympathiques, sûrement à cause de leur avant-centre qui s’est pointé avec la même moustache que son oncle. Ce suicide esthétique avait quelque chose de touchant. Mais cet attribut pileux était un leurre, le bonhomme s’est blessé au bout d’une demi-heure à peine. Tout est allé de travers pour eux, les bougres, ils ont tout simplement tout loupé. On ne va pas les plaindre, ça nous arrive depuis environ dix ans.
Mais Zakaria Boualem voudrait adresser une mention spéciale au héros de la soirée, l’ineffable Pepe. Voici un homme qui, il y a quelques années, a estimé judicieux de balancer une série de coup de pieds à un adversaire à terre pour une raison connue de lui seul. On le disait assagi, c’était une ruse. Il a en fait attendu le grand soir pour faire la démonstration de son talent. La Liga ne suffisait pas, la Ligue des Champions non plus. Il lui fallait un public mondial pour sa stupidité planétaire. Un coup de coude suivi par un coup de boule, un rouge direct, et merci. Il y a des entraîneurs qui préparent un match pendant des mois, des coéquipiers qui attendent ce jour depuis quatre ans, des gens qui font des statistiques pointues, une cohorte de médecins, au total une masse de compétences hallucinante. Et il y a Pepe qui agresse un adversaire soudain, qui laisse ses coéquipiers à dix contre onze et qui fout tout en l’air. L’irruption brutale de l’humain dans sa version la plus imprévisible dans un univers qui tente d’annihiler l’incertitude. C’est fascinant parce qu’il n’y a aucune explication rationnelle. Cette Coupe du monde est extraordinaire, et merci.