Ce qui caractérise actuellement notre vie politique, c’est l’ennui. Les Marocains s’ennuient. Rien ne les intéresse ou les fait réagir, sauf de savoir qui va remporter la Coupe du Monde, et surtout sur quelle chaîne la compétition sera retransmise. La politique au Maroc ressemble à un encéphalogramme plat, auquel seules quelques convulsions donnent encore une apparence de vie, ou de survie. L’actualité se résume alors au commentaire des photos du roi en Tunisie, aux petites phrases du Chef du gouvernement et aux tempêtes dans un verre de tequila soulevées par la déclaration d’un ministre sur le prétendu « bordel mexicain » que sont devenues nos chaînes.
On est loin, très loin de ces grands débats qui agitaient notre pays et l’animaient, il y a juste trois ans. En si peu de temps, on est passés du débat sur l’ampleur du pouvoir de la monarchie à celui des prérogatives d’un directeur de service public, et du contenu de la Constitution à celui des séries télévisées. Les partis se sont de nouveau mis en apnée et ne vont réapparaître qu’en milieu de l’année prochaine, pour rouvrir leurs échoppes électorales. Du côté de l’opposition « antisystème », les choses ne vont guère mieux : les disciples de Cheikh Yassine et les camarades de gauche ont disparu du radar politique. La Qawma et le Grand soir peuvent toujours attendre. Même ces jeunes, qui remplissaient les rues il y a trois ans de cris de révolte et d’espoir, ont vieilli, si tôt, si rapidement. Leurs photos, témoins d’une période de rêve et de désir de liberté, semblent venir d’une autre époque ou décennie. Si elles n’étaient pas en couleurs, on les confondrait avec celles des années 1960-1970. C’est dire à quel point le Maroc a changé en un court laps de temps. On regarde d’un œil distrait ce qui se passe dans les autres pays de la région. La passion suscitée par le Printemps arabe s’est transformée en indifférence, et les images et infos qui nous viennent d’Égypte, de Syrie ou de Libye alimentent notre résignation et notre ennui. Plus rien ne semble se passer ou se produire. Un air de déjà vu, qui rappelle le Maroc du milieu des années 2000 où la vie politique était en pilotage automatique et où tout le monde s’accommodait du peu d’intérêt que les Marocains accordaient à la chose publique. Sauf que les mêmes causes ne peuvent produire que les mêmes effets. Cette situation de lassitude et de stagnation ne peut que conduire à une fragilisation de notre système politique et au retour des anciens démons : le pouvoir de l’argent et des notables. Un sombre horizon après de si grands espoirs.
PS : Le lecteur averti reconnaîtra que cet édito fait référence à « Quand la France s’ennuie », fameux article paru dans Le Monde en mars 1968. Son auteur, Pierre Viansson-Ponté, y décrivait l’état de lassitude politique en France. Quelques semaines plus tard, les événements de mai 68 ont éclaté pour changer les mentalités du pays. Sauf qu’au Maroc, cet ennui risque d’être plus durable.