Souk : bienvenue à Little Dakar

L’ancienne médina casablancaise abrite un souk unique en son genre. Il s’agit du premier marché « africain ». Immersion dans un univers plein de saveurs.

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Photo : Mohamed Drissi Kamili

Au cœur de Casablanca, niché à l’entrée de l’ancienne médina, se trouve un souk pas comme les autres : le « Souk Sénégal ». Un microcosme aux airs de Little Dakar qui réunit tous les produits de consommation des pays subsahariens.  On est encore loin de l’effervescence du légendaire marché Sandaga, véritable poumon de l’économie informelle sénégalaise, mais ça pourrait presque en prendre le chemin. Dans les allées étroites et bouillonnantes, plusieurs dizaines d’échoppes portent les couleurs du Sénégal, du Cameroun, de Guinée ou encore de Côte d’Ivoire. L’odeur du mafé, plat originaire du Mali à base de riz blanc et de pâte d’arachide, se mêle à celle du tiep bou dienn, l’équivalent sénégalais du couscous marocain. Les étals rivalisent en produits de beauté « spécial peau noire », extensions capillaires en tout genre et tissus « 100% sénégalais », selon un commerçant, mais étiquetés « made in Thailand ». Au sol, des femmes font frire des chips de banane plantain sur des camping-gaz, et parlent chiffre d’affaires avec des vendeurs au détail, qui estiment que « la journée était très difficile ». Au brouhaha ambiant s’ajoute un savant mélange de raï boosté au vocoder et de coupé-décalé nouvelle génération, signe ultime de la rencontre entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.

Des ferracha au nec plus ultra

Depuis quand existe le Souk Sénégal ? Personne ne peut donner une date précise, mais son apparition coïncide avec la pression du flux migratoire et le nouveau plan d’aménagement de la médina lancé fin 2012 par Mohammed VI. « Cela fait plusieurs années que la médina est un lieu de rendez-vous pour les Subsahariens. Il y a cinq ans déjà, tout Sénégalais en provenance de Dakar savait qu’il fallait se rendre ici pour rencontrer des compatriotes et trouver de l’aide », explique Mariam, une coiffeuse à la sauvette qui opère à l’entrée de Bab Marrakech, avant de poursuivre : « Certains d’entre nous ont commencé comme vendeurs ambulants, puis ceux qui en avaient les moyens ont profité de la rénovation du souk pour louer des baraques neuves aux propriétaires marocains. Les Sénégalais ont été les premiers à s’installer car ce sont les plus nombreux au Maroc. Les autres communautés ont fini par suivre ». Pour un magasin d’à peine 3 mètres carrés, le prix de location est compris entre 2500 et 3000 dirhams, un investissement considérable pour la majorité des commerçants. Instinct de débrouille et solidarité obligent, certains ont pu compter sur leurs proches afin de réunir les fonds de départ. Concernant les contrats de location, beaucoup n’en possèdent pas, faute de carte de séjour.

C’est le cas d’Ibrahim, originaire de Guinée Conakry et installé au Maroc depuis quatre ans. « J’ai des frères et sœurs un peu partout sur la planète, ceux qui habitent au Canada et en Europe m’ont envoyé le budget nécessaire pour monter ma petite affaire », raconte-t-il en riant. Un projet qui lui tenait à cœur. Titulaire d’un master en biologie, Ibrahim a quitté son pays parce qu’il ne parvenait pas à trouver un travail. « J’ai sciemment choisi le Maroc parce que c’est un pays musulman et moderne. Seulement ici, mes diplômes ne valent quasiment rien et décrocher un contrat de travail, c’est mission impossible. J’en avais marre de me tourner les pouces alors j’ai pensé à travailler au souk », précise-t-il. Depuis, il fait quotidiennement le trajet « Oulfa-centre-ville » en bus, pour gagner son pain quotidien. Les spécialités de son bouiboui ? Le congre fumé et le miel de Guinée issu de la fleur de mangue, qu’il fait venir par avion grâce à des amis. « Le miel que je vends, c’est le meilleur d’Afrique, le top pour la digestion et les maux du ventre », argue Ibrahim, qui s’interrompt pour faire goûter un plat à base de feuilles de manioc à une potentielle cliente marocaine. « Tiens donc, mais ça ressemble aux épinards votre maniac (sic) », s’exclame-t-elle, avant d’en acheter un kilo.

Peau blanche et popotin rebondi

« Pss, pss, tu veux les grosses fesses (sic) ? », interpelle discrètement Mima, une vendeuse sénégalaise, en montrant un flacon à l’intérieur de son sac à main. Il s’agit de la crème Bobaraba Botcho, un produit miracle qui permet d’obtenir la croupe de Kim Kardashian pour le prix dérisoire de 300 dirhams. Tentant, mais dangereux. Le Bobaraba Botcho n’a fait l’objet d’aucune étude médicale et la rumeur dit qu’il serait bourré d’hormones de croissance. En attendant, ce sont bel et bien les cosmétiques qui volent la vedette à toutes les autres marchandises. Damien, originaire de Côte d’Ivoire, a flairé le business et surfe à fond sur la tendance. Une bien maigre consolation pour celui qui était ingénieur dans une célèbre compagnie pétrolière installée dans son pays, jusqu’à ce qu’un conflit éclate entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara, de 2010 à 2011. « Les patrons ont flippé et  ont voulu dégraisser. J’ai fait partie des employés remerciés. En attendant que ça se calme, j’ai choisi de venir faire un tour au Maroc », témoigne-t-il.  Depuis, il s’est associé avec un ami resté au pays, qui lui envoie des colis de marchandises par avion tous les mois, et s’est spécialisé dans les cosmétiques. Sur la liste des best-sellers : la crème « perfect white » pour blanchir la peau (150 DH), les kits de défrisage (100 DH) et le savon à la carotte ou au beurre de karité (20 DH). « Moi, je suis fier d’être noir. Si je pouvais l’être encore plus pour embêter les gens, je le ferais sans hésiter. Nos femmes, en revanche, ce n’est pas la même histoire. Elles savent bien que les hommes préfèrent les blanches », confesse Damien. L’autre business florissant, toujours dans le domaine de l’esthétique, concerne la pose d’extensions (200 à 500 DH) et le tressage de cheveux (50 à 150 DH). « C’est ce qui marche le plus, surtout auprès des femmes marocaines ou des adolescentes. C’est difficile physiquement, mais on gagne très certainement plus d’argent que les autres vendeurs », assure Mariam.

« Se sentir un peu chez soi »

« De mon côté, ce n’est pas la folie mais c’est déjà pas mal. J’ai de quoi vivre et payer la location du magasin », avoue Damien, qui s’empresse d’ajouter : « Cela me fait surtout du bien de travailler ici. Je croise des compatriotes,  je retrouve les odeurs et les sons de mon pays. C’est comme si j’étais chez moi, ou comme si j’avais un point de repère, et je crois que ce sentiment est partagé par l’ensemble de la communauté subsaharienne présente à Casablanca ». Pour « être encore plus proches » de chez eux, certains Sénégalais ont mis sur pied un système de transport informel, situé derrière la médina. Ils sont plusieurs à avoir mis de l’argent en commun afin de faire l’acquisition de minibus. « Tous les jours, il y a deux ou trois départs à destination de Dakar. On ramène des produits marocains et les Sénégalais qui ont envie de rentrer. Juste pour l’aller, le billet coûte 1500 DH, et le voyage dure environ cinq jours. Dans l’autre sens, c’est la même chose, on ramène des produits sénégalais et quelques candidats à l’immigration », explique Moustafa, un commerçant qui utilise ce mode de transport. Une manière de s’organiser qui suscite parfois l’agacement des Marocains.  « Ils font bien ce qu’ils veulent, mais je ne trouve pas ça très réglo. Le transit de produits d’accord, mais pas d’êtres humains ! », tonne Mohamed, un habitant de la médina. D’autres, en revanche, se montrent plus compréhensifs, à l’instar de Fatima, qui se définit comme « une Marocaine à la peau noire mariée à un Guinéen » : « Ici on est tous dans la même galère, à chacun sa manière de gagner son pain ».

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