Cirque parlementaire

Par Fahd Iraqi

L’avancée du Maroc vers la démocratie se fera au rythme décidé par le Palais

Cirque parlementaire », la formule est attribuée à feu Hassan II. Il l’aurait balancée dans un de ses discours mythiques pour exprimer son dépit vis-à-vis des locataires de l’hémicycle. Inutile de chercher à retracer le contexte précis dans lequel il a placé une telle métaphore. Disons juste qu’elle n’est pas étrangère au style du défunt roi qui connaissait si bien son peuple. Lui qui a su dompter la classe politique était bien placé pour apprécier nos « hommes au pouvoir » à leur juste valeur : celle d’intermittents du spectacle surjouant leurs rôles respectifs dans la grande comédie qu’a été la démocratie hassanienne.

Quinze ans après la disparition de Hassan II et une révision constitutionnelle plus tard, force est de constater, hélas, que l’ambiance des séances parlementaires continue de ressembler à celle d’une pathétique halqa. C’est peut-être pour cela que l’on n’ose toujours pas lancer une chaîne de télé parlementaire (ce n’est pas sorcier pourtant) et que le Chef du gouvernement a même eu recours à la justice pour arrêter la retransmission d’une partie des travaux des élus (bonjour la transparence).

Nos honorables ministres comme nos vénérables représentants, souvent, se surpassent pour exploser la jauge du ridicule. La récente rixe entre l’intrépide ministre Mohamed El Ouafa et un parlementaire de son ancien parti de l’Istiqlal – qui fait couler beaucoup d’encre – est la dernière démonstration en date. A se fier aux différentes versions rapportées, les témoins de ce grand moment de la vie parlementaire auraient eu droit à la totale : un responsable gouvernemental qui lance un « casse-toi pauv’ con » version marrakchie ; un député qui fait tomber la veste pour lui rendre la politesse à coups de poing ; des ministres effarouchées devant cette scène qui se retiennent pour ne pas crier « 3ouk 3ouk » ; un traducteur du langage des signes qui, pour son premier direct, se retrouve à mimer « na3lou chitane » ; un réalisateur d’Al Aoula qui se jette sur sa console pour couper la retransmission… Bref, il y aurait matière à monter un numéro de clowns aussi pittoresque qu’une sitcom ramadanienne.

Dans un décor aussi folklorique, il est difficile de convaincre les Marocains que nous sommes sur la voie d’une transition démocratique. Notre personnel politique, censé prendre les commandes, nous démontre jour après jour son incapacité à tirer vers le haut. Il s’enfonce dans des querelles partisanes stériles au lieu de chercher à fédérer autour de politiques publiques audacieuses et à  produire les textes législatifs à même de les traduire en actions sur le terrain. Cette configuration réconforte évidemment les défenseurs zélés d’une monarchie exécutive aux larges prérogatives. Comment donc imaginer le roi lâcher de son pouvoir au profit d’une bande de 
guignols ? Comment continuer d’aspirer à l’instauration d’une véritable monarchie parlementaire ? Il faut se rendre à l’évidence : l’avancée du Maroc vers la démocratie se fera au rythme décidé par le Palais, puisque le roi reste le seul acteur politique capable de donner le la. C’est visiblement tout ce que l’on mérite.