Le maroc invente-t-il, depuis quelques années, une diplomatie de la faiblesse muée en influence ?
De toutes les prérogatives du pouvoir, la diplomatie est sans doute la plus ambiguë, la moins monolithique du moins. Au Maroc, on s’est habitué depuis Hassan II à distinguer entre de soi-disant ministères de souveraineté (comme si les autres ne l’étaient pas…). Les Affaires étrangères, la diplomatie surtout, qui est leur vocation en principe, tenant la tête de liste.
En réalité, cette distinction entre diplomatie « souveraine » et ministères plus ancrés dans la réalité sociale et politique du pays, recouvre une plus vaste question : quel rapport établir entre la scène politique intérieure et l’action extérieure d’un pays ? Il n’y a pas que le Maroc qui s’interroge. La France, pendant les périodes de cohabitation, expose aux yeux de tous cette vérité tacite de tous les jours. En Arabie Saoudite, jusqu’au 11 septembre au moins, Riyad s’ingéniait à isoler deux mondes, sa politique intérieure et son alliance extérieure avec les Etats-Unis. La guerre du Golfe en 1991 avait déjà fortement ébréché cette isolation. La médiatisation de l’attaque de Ben Laden l’a quasi-définitivement rendue caduque. Car comment distinguer deux scènes quand un même flux médiatique, humain, culturel, sans cesse les relie ?
La solution marocaine, pendant longtemps, a été de recouvrir cette séparation traditionnelle par une problématique politique : c’était quasiment une constitutionnalisation de l’indépendance diplomatique par rapport à l’activité partisane. Le roi gère la diplomatie, qui a une temporalité propre, une profondeur, des perspectives, que ne peuvent saisir les aléas idéologiques et les échéances électorales.
Les transitions démocratiques marocaines, celle de 1997, celle de 2011, aussi superficielles soient-elles, remettent en cause cette manière de distinguer les deux mondes. Comment être atlantiste, pro-saoudien, favorable à un rapprochement israélo-arabe, allié de Washington dans sa guerre illégale contre le terrorisme, d’une part, et de l’autre s’appuyer sur une souveraineté populaire massivement pro-palestinienne et anti-saoudienne, tiers-mondiste et anti-américaine ? La souveraineté qui naît dans les urnes ne s’arrête pas facilement aux portes de la realpolitik.
Il y a pourtant une solution marocaine à ce problème mondial, qui permet de concilier la démocratie élective, ses limites spatiales (les circonscriptions), ses limites temporelles (les échéances électorales), et la diplomatie, son cynisme, sa profondeur de vue, son indifférence à l’actualité politicienne.
Rabat mobilise de plus en plus confréries et communautés transnationales, diasporas et ONG via les liens culturels ou religieux ; c’est une société civile mondiale en devenir. C’est dans ce sens qu’on peut comprendre par exemple la multiplication de festivals, colloques, conférences internationales : une diplomatie culturelle active et qui ne dit pas son nom, qui cherche, inconsciemment sans doute, à faire converger les affaires extérieures et les affaires intérieures du pays, par d’autres voies que la confrontation simple entre élus aux prises avec leurs calculs électoraux de proximité et de court terme, et un cabinet royal aux considérations secrètes et difficilement lisibles. Le Maroc invente-t-il, depuis quelques années, une diplomatie de la faiblesse muée en influence ? Un soft power culturel régional qui puisse dépasser l’opposition entre des alliances internationales nécessaires et impopulaires et les souhaits idéalistes des citoyens ?