Ta vie en l'air. Le festival du monde

Par Fatym Layachi

Pour les deux prochains mois, tes fins de semaine seront organisées en fonction des mariages de tes copines et des festivals de musiques en tout genre. Tu n’aimes pas particulièrement la musique et tu ne raffoles absolument pas des pièces montées, mais c’est de saison. Et puis, surtout, ça rythme tes week-ends. Au moins avec toutes ces festivités, tu sais que tu es occupée jusqu’au début du ramadan et ça, ça te rassure. La nature a horreur du vide, toi encore plus. Tu as peur des samedis où il ne se passe rien et des dimanches sinistres. Et la simple idée de devoir rester seule avec toi-même t’angoisse et te donne envie d’aller en parler à ta coach. Et comme ici, l’offre n’est pas très grande, tu en redemandes. Alors, tu passes avec aisance du caftan brodé, chignon et boucles d’oreille en or aux décolletés vertigineux d’une robe qui couvre à peine ta pudeur, pourtant pas bien grande.

Certains soirs, tu es cette jeune fille polie et souriante que toutes les mères rêveraient de marier à leur fils avocat ou médecin. Et le lendemain tu peux être une mondaine délurée qui se trémousse sur un dance-floor. Tu es née caméléon. Alors le temps d’un week-end tu deviens passionnée de musique classique, alors que tes connaissances en la matière se limitent au souvenir très vague d’une image de Mozart et de sa perruque. Mais c’est là qu’il faut être alors tu y es. Et à bien y réfléchir, la musique de chambre n’est qu’un prétexte. Et puis finalement,  par moments ça t’émeut, même si tu ne comprends pas vraiment pourquoi.

C’est que tu sais t’adapter. Tu jongles avec aisance. A défaut d’avoir une quelconque vocation ou sensibilité artistique, tu vis ta vie en funambule. La semaine prochaine, tu adoreras le flamenco. Celle d’avant tu as été envoûtée par le jazz. Ton impersonnalité a la même substance que l’argent. Tu n’as pas d’odeur véritable. Et tu passes de main en main sans perdre de ta valeur.

Les gens brillants font le tour des conférences, paraît-il. Toi, tu brilles en faisant le tour des festivals. Tu n’as peut-être pas d’avis sur grand-chose mais tu as un sens du rythme irréprochable. Alors tu te déhanches. Et puis ils sont tellement nombreux, autour de toi, à avoir des goûts de luxe tout en n’ayant absolument aucune idée de ce qu’est le luxe. Toi au moins tu as conscience de vivre dans un univers doré. Tu papillonnes, tu danses, tu voyages. Tu te fais croire que tu fais du tourisme.

En vrai, tu te contentes de te délocaliser. Tu es dans des carrés VIP avec très souvent les mêmes personnes autour de toi. Vous logez dans les mêmes hôtels et finissez par tituber dans les mêmes after. Tu prends quand même, à chacune de tes escales, le temps d’acheter deux ou trois petites babioles. Ta manière à toi de soutenir l’artisanat, le folklore et les autres coutumes régionales que tu trouves tellement belles en photo.

Les babouches sont made in China, l’huile d’argan n’est pas bio, les tapis sont tissés par des femmes qui se font exploiter ? Et alors ? Un week-end, c’est bien trop court pour se poser ce genre de questions. Et encore plus pour songer à y répondre. Et puis, tu es là pour passer un bon moment. Les gens qui se préoccupent de l’avenir de la planète n’ont qu’à organiser un festival. Ce serait bien le seul moyen de t’acheter un semblant de conscience écologique ou citoyenne.