En France, les élections municipales incluent les citoyens européens et excluent les ressortissants extra-européens. Bref, il s’agit d’un bricolage malaisé. Au Maroc, selon un principe de réciprocité encore à explorer, les municipales seront ouvertes aux étrangers. Ailleurs, des cas de figure multiples existent ou se mettent à prospérer. Les élections sont à leur tour touchées par la mobilité, qui est notre condition historique.
Il y a un argument qui paraît décisif contre l’extension du droit de vote aux étrangers : l’indivisibilité de la citoyenneté. S’appuyant sur l’histoire des luttes pour le suffrage universel, celle-ci suggère que cette extension aurait des relents de vote censitaire, surtout lorsqu’on ajoute qu’elle s’appuie sur la qualité d’imposable de l’étranger en question. Le droit de vote, socle de la citoyenneté, se fragmenterait en différents niveaux d’intégration à la Cité, étalonnés sur le travail, le salaire ou la durée de séjours, choses qui ont ou auraient peu à voir avec la citoyenneté.
Ces critiques négligent, d’une part, la particularité du vote local et, de l’autre, la particularité du monde contemporain. Entre ces deux extrêmes, la proximité de quartier et les flux mondiaux, dans lesquels sont placés les étrangers partout dans le monde, on veut, au nom d’une citoyenneté d’Etat-nation intact, interdire tout accès à un collectif politique aux étrangers.
Or la citoyenneté jacobine, indivisible, universelle et légitime, se doit aujourd’hui de ménager un espace de pensée et d’exercice pour des situations particulières. Pour un travailleur étranger, payant des impôts et des taxes, inséré dans un milieu de vie local – logement, école, loisirs, tissu associatif… – depuis plusieurs années, la politique municipale est aussi sa chose publique à lui, indéniablement, sauf, justement, à diviser une collectivité de proximité – un quartier, un arrondissement, une commune – entre ceux qui décident et ceux qui, tout en participant de leur travail à la vie économique et sociale, restent assujettis aux décisions.
A l’autre échelle de cette condition de l’étranger contemporain, la mobilité est aujourd’hui un fait permanent, concernant de plus en plus de personnes. Loin d’être une exception, elle tend désormais à faire partie des cours de vies – scolaires ou professionnelles – normales. Proposer une participation politique à ceux qui sont appelés, de par leurs choix professionnels, politiques, universitaires, à repartir ailleurs dans quelques années ou quelques décennies, pour ceux qui, par choix, souhaitent ne pas être naturalisés, pour ceux dont l’attache nationale est ailleurs mais la vie publique ici et maintenant, c’est non pas diviser la citoyenneté, la brader ou la fragiliser, mais aménager des modalités particulières dans le cadre de la citoyenneté universelle.
Nous sommes à la veille d’une nouvelle époque historique : la participation à la vie politique, locale, se doit, de plus en plus, d’être dissociée de notre identité collective. On peut, on doit être citoyen de tel pays et voter et candidater dans un autre. Il s’agit là de deux niveaux d’existence politique, que la modernité jacobine a confondus, et que la mondialisation, de nouveau, est en train de disjoindre.
La chose, pour le Maroc, est potentiellement aisée : le Marocain est sujet monarchique, c’est une identité collective et historique ; il est citoyen d’un espace politique en devenir, encore immature. Faire la distinction entre les deux espaces, ouvrir l’un aux flux de la mondialisation et de l’immigration, garder l’autre dans l’intimité identitaire, voilà un chantier d’avenir.