Zee pense qu’il est temps. Temps de se calmer. Temps de grandir. Temps d’avoir une vie d’adulte. Selon elle, il serait même temps de transmettre. Transmettre quoi, tu n’en as pas la moindre idée. Mais apparemment il y a un moment dans la vie où il faut faire des enfants, pour transmettre justement. Encore faudrait-il avoir appris quelque chose… Mais bon, ce n’est pas de ça dont il s’agit. Selon elle, c’est de moment dont il est question. Tu te dis qu’elle ne doit pas avoir tort. Tu te dis que ça te ferait du bien. Que ça t’éviterait bien des situations à la limite du sordide et certains lendemains honteux. Tu rêverais presque d’une vie rangée. Pas ennuyante, juste reposante. Une vie sans cernes à cacher sous de trop grandes lunettes de soleil. Alors tu rappelles le garçon parfait. Et tu acceptes son invitation.
La première date (prononcer dayte) est à son image, parfaite. Très bon repas, très bon vin dans un très bon resto, suffisamment en vue pour s’affirmer dans la société mais à une table suffisamment discrète pour ne pas s’afficher non plus. Ce n’est qu’une première date après tout ! Deux jours après, un déjeuner en terrasse et une main qui se glisse avec subtilité sur la tienne. Deux ou trois confidences et un (tout petit) secret de famille révélé. La carte « famille » étant, dans un contexte de séduction, la garantie ultime et indéniable de sérieux. Car, en brandissant l’étendard de la mère dépressive ou du cousin dépravé, on affirme que ce n’est pas d’une partie de jambes en l’air qu’il s’agit, mais d’une projection de vie à deux. Alors toi, polie et projectionniste, tu minaudes avec compassion quand il parle de sa tante qui a rassemblé toute la famille autour d’elle avant de rendre l’âme tragiquement. Tu es à deux doigts d’essuyer une larme. Mais tu penses aux dégâts que peut causer le mascara et tu ne pleures pas. Il paye ensuite l’addition et te raccompagne jusqu’à ta voiture. Tu as montré que tu étais pleine d’empathie et de compréhension, à lui de prouver qu’il est gentleman. Tu en parles à Zee, elle lui trouve zéro défaut. Du coup, fatalement, elle se demande s’il n’est pas gay. C’est que tu ne l’as pas habitué à des choses si lisses. Tu le revois au cours du week-end pour boire un verre. Et il y a le fameux dernier verre. Et un bisou, juste un. Surtout pas plus. C’est de vie à deux qu’il est censé s’agir, pas de plaisir immédiat et potentiellement regrettable. Alors tu sors ta panoplie de sourires mielleux et tu te recoiffes innocemment comme une enfant qui récite un poème qu’elle ne comprend pas. Tu rentres chez toi. Il t’envoie le texto du garçon bien, celui qui demande si tu es bien arrivée.
Entre tes envies de toujours et tes peurs de plus jamais, tu tentes de lui fabriquer une place. Tu te dis pourquoi pas lui. Il est beau. Il est intelligent. Il a un super-boulot. Il est galant. Il dit bonjour à la dame. Il est impeccable. Il a tout ce qu’il faut pour être le garçon idéal. Il peut plaire à ta mère très à cheval sur la politesse. Il peut plaire à tes copines qui se prennent pour les gardiennes du temple de la fashion-attitude. Il peut plaire à tes potes qui se prennent pour la brigade de la coolitude.
Il répond à tous les critères, il peut cocher toutes les cases mais ton cœur, il n’a pas réussi à l’atteindre. Et finalement, le cœur, la raison, l’ignorance ce ne sont pas que des conneries. Et malgré tes talons vertigineux, ton dégradé impeccablement travaillé et tes ongles qui brillent par tous les temps, tu as un cœur qui, même s’il est bien caché, ne demande qu’à battre. Alors tu vas continuer à te perdre, avec l’espoir un peu fou de trouver quelqu’un qui te fasse croire que c’est possible d’aimer.