Qu’on ne s’y trompe pas, au Maghreb, et plus généralement dans le monde arabe, ce ne sont ni le Maroc, ni la Tunisie, ni même l’Egypte ou la Syrie qui font figure d’exception. Après la vague des révolutions arabes, un seul pays semble comme anesthésié, immobile, et imperméable aux bouleversements du monde. Nous parviennent en effet d’Algérie les nouvelles d’une époque que nous croyions révolue : celle d’illusions et de mensonges étatiques à grande échelle dont le peuple semble encore prêt à se bercer. Les ficelles sont très grosses : un président qui révise la Constitution pour pouvoir concourir pour un quatrième mandat, une élection où le sortant est donné gagnant en l’absence de sondages, une campagne dont le candidat principal, vieux et malade, est absent. Et encore n’est-ce là que la partie visible de l’iceberg, qui ne dit rien des fraudes électorales qui ont jusqu’ici caractérisé les élections algériennes, ni de la tentation abstentionniste qui a gagné beaucoup d’Algériens.
Peu importe finalement l’identité du nouveau président. Seules comptent des apparences dont personne n’est dupe : l’apparence de stabilité, de puissance et d’infaillibilité. Une Algérie au consensus retrouvé, qui a surmonté l’épreuve des années 1990 ; une Algérie qui montre ses muscles sur la scène internationale, que ce soit à l’égard de ses voisins ou des puissances occidentales ; une Algérie qui n’a pas peur de marcher à rebours de l’histoire, où le pouvoir n’appartient ni à un chef charismatique autoritaire, ni à des élus représentant la nation, mais à un obscur cartel de gradés de l’armée et des services de sécurité. L’ironie de la situation, c’est qu’il y a en Algérie un président qui règne depuis quinze ans mais sans gouverner. Là-bas, l’hydre du pouvoir n’a pas une tête, mais des dizaines. Que quelques-unes disparaissent, d’autres les remplaceront. C’est un pouvoir sans visage, donc inatteignable, sauf à créer les conditions d’un chaos que tout le monde redoute. La force du système algérien est ainsi d’avoir amorcé le virage d’un multipartisme de façade, d’un pluralisme politique où se noie toute volonté d’atteindre le noyau du pouvoir.
Le système algérien est en fait le miroir inversé de notre propre Makhzen. A la tête de notre pays, il y a en effet un roi qui comble tout l’espace laissé vacant par l’absence de contre-pouvoirs. Notre roi règne, gouverne… et s’expose. Là-bas comme ici, la démocratie est balbutiante. Les deux systèmes ont ménagé des soupapes de sécurité et se sont dotés de fusibles en la personne du président pour l’Algérie ou du Chef de gouvernement pour le Maroc. Lequel de ces deux régimes est le plus valable, le plus conforme à l’exigence démocratique universelle ? Dans l’absolu aucun. Mais, dans la conjoncture actuelle, force est de constater que le spectacle politique offert par l’Algérie est désolant. Heureusement, il reste aux Algériens un pouvoir dont ils ne se privent pas, celui de rire d’eux-mêmes et de moquer leurs dirigeants. Par exemple en parodiant le tube du chanteur belge Stromae dont le célèbre Papaoutai est devenu Boutefoutai. « Où es-tu Boutef ? Dis-nous où es tu caché ? Sans pouvoir reparler, tu veux encore être le chef. Ah sacré Boutef, Dis-moi où es-tu caché ? Ça doit faire au moins quatre fois que tu te prends pour un roi ! » dit la chanson. Quant au droit de vote, pas sûr que ce soient les honnêtes citoyens qui en usent : dans ce système habitué à bourrer les urnes et à faire voter les morts, la voix de l’individu citoyen ne compte pas, seuls résonnent les rires nerveux, préludes peut-être annonciateurs d’un son autrement plus inquiétant : le grondement d’un peuple provoqué jusqu’à l’outrage.