A la fin des travaux du tramway, durant quelques semaines, un ou deux mois tout au plus, les Casablancais ont eu comme une vision, une promesse, la préfiguration de ce que leur cité, plus exactement leur centre-ville, pourrait devenir un jour lointain, très lointain. Oh, il ne s’agissait que du tronçon d’un boulevard ! Le tronçon du Boulevard Mohammed V allant de la Place des Nations unies au Marché central.
Entièrement pavé de granits gris, régulièrement ponctué de bancs publics et de poubelles joliment dessinées, rendu piéton, débarrassé de toute nuisance sonore et visuelle, il nous offrait soudain une agréable promenade, à même de nous permettre d’admirer, en toute sérénité, l’élégance des lignes et la délicatesse de l’ornementation de ces admirables immeubles de styles art-déco, paquebot ou néo-classique, fraîchement chaulés. C’était beau, trop beau !
Plus tard, les choses ont repris leur cours « normal ». Les terrasses des cafés, un moment contenues, se sont de nouveau étalées à leur guise. Les ferracha ont réinvesti massivement les trottoirs. La fine couche de chaux blanche a cédé sous l’assaut de cette si familière poussière grisâtre. Les grilles de fonte protégeant les étroites bandes de caniveaux ont commencé à disparaître pan par pan. Pire encore, les nombreuses rues perpendiculaires au boulevard devenu piéton, ayant perdu leur fonction première, se sont transformées en parkings sauvages et, pour certaines, en véritables dépotoirs, les bennes de ramassage d’ordures ne pouvant plus y accéder. Le tout au grand bonheur des mendiantes et autres chmakria que plus rien ne semble déranger.
A qui la faute ? A nous tous, usagers de la ville. Il faut bien admettre que nous ne sommes pas prêts à adopter un comportement urbain, pour ne pas dire civilisé. Nous n’avons pas – du moins avons-nous oublié – le sens de la gestion commune de l’espace public. Ceci est une amère réalité dont nous ne pouvons nous dédouaner. On aura beau incriminer les nouveaux immigrants et autres paysans mal dégrossis, ce ne sont pas eux qui stationnent leur impressionnant 4×4 sur le trottoir. Et si on peut excuser les quelques propriétaires d’immeubles de rapport dont la somme des vieux loyers bloqués ne leur permet plus d’entretenir correctement leur bien, quelle excuse peut-on trouver à l’état de délabrement avancé que présentent les nombreux édifices appartenant aux banques, assurances et autres entreprises notoirement prospères ?
Bien entendu, le constat de notre incivisme collectif ne saurait nous empêcher de nous questionner sur la démission quasi totale des autorités en charge de la gestion urbaine de notre grande – et riche ! – métropole, ainsi que l’a si vigoureusement signalé le souverain dans son discours du 11 octobre 2013. Mais ceci est une autre histoire.