Ta vie en l'air. Le fric, c’est chic

Par Fatym Layachi

Perdre sa vie à la gagner ? La majorité des gens doivent probablement en avoir peur. Pas toi. Tu ne comprends déjà pas très bien le sens du mot « pénibilité », encore moins s’il est associé au mot « travail »…  Ta vie, tu l’as déjà gagnée. Tu es bien née. Tu as grandi dans une belle maison, tu as été déposée à l’école tous les matins dans une belle voiture, tu as porté de jolies robes, tu es partie en vacances dans de beaux endroits, tu as fréquenté de beaux garçons, tu as été étudiante dans un bel appartement à l’étranger. Et tu es revenue dans ton beau pays.  Avec, finalement, pour seule ambition de perpétuer ce train de vie pour toujours comme un long fleuve. Pas tranquille tous les jours certes mais au tracé plutôt impeccable. L’argent ne fait peut-être pas le bonheur mais ne pas en avoir te rendrait pire que malheureuse : inexistante dans la société. Et dire qu’il y a des fous de démocratie qui sont convaincus qu’un bulletin de vote est le pouvoir ultime. Ils ont bien le droit d’y croire. Il y a des fous de tout, après tout. Il y a même des fous de Dieu… Tu ne connais même pas le nom des élus de ton quartier. Et tu ne vois pas très bien ce que ça pourrait t’apporter. Alors que l’argent tu peux en voir les effets concrètement. Et toi, tu aimes le concret, le palpable. Et s’il brille, c’est encore mieux. Un mec marrant, ça vaudrait tout l’or du monde. Pas sûr. L’humour c’est sans doute très jovial et très amusant en soirée, mais ça ne t’offre pas de jolis bijoux pour autant.

Quand on aime, on compte. Eh non, ce n’est pas immoral. Le règne animal fonctionne de la même manière. Le mâle qui a les meilleurs atouts génétiques est celui qui attire les femelles. Alors toi, le plus instinctivement du monde, tu te diriges vers celui qui assurera le mieux ton bien-être. Eh oui, il faut reconnaître que ton bien-être coûte assez cher. Alors pour ton confort au jour le jour, tu as appris à décliner avec brio le concept du pourboire dans à peu près toutes les situations. Tu ne portes pas tes sachets au supermarché. Un jeune homme le fait pour toi. Tu ne vas pas acheter un paquet de clopes quand il se vide au milieu d’un dîner au resto. Tu envoies le serveur. Tu ne fais pas la queue dans les administrations. Tu n’as jamais payé la moindre amende et pourtant tu roules trop vite et ça n’échappe que rarement au radar. Le type qui a inventé l’argent pensait réguler le troc, toi tu t’en sers pour réguler ta vie. Et ce n’est pas uniquement pour t’éviter les petits désagréments du quotidien. Le petit frère de Zee a miraculeusement évité la prison. Il avait pourtant blessé mortellement un pauvre piéton et s’était enfui alors qu’il conduisait sans permis. L’impunité aussi a un prix. Le père de Zee l’a payé. 

L’argent peut tout acheter. Du luxe de se garer en plein centre-ville aux heures de pointe à un avortement propre. Sans oublier les fringues. En remplissant tes placards, tu aimerais combler ton vide. On s’occupe comme on peut, on s’invente des hobbies ridicules… Certains mangent par manque d’affection. Toi, tu as bien trop peur des capitons. Alors tu dépenses. De toute façon, dépenser et boire sont finalement les deux seules activités qui te détendent. La première te donne la jouissance du pouvoir, la seconde te procure ce vertige de l’abandon. Tu n’as pas forcément le goût du pouvoir, mais comme c’est le seul moyen de subsister dans ta société, alors tu en joues. Mais ça t’épuise. Alors, des fois, tu t’abandonnes un peu. Et si ce n’est pas avec du champagne hors de prix, c’est au moins dans un endroit qui vend les briwate à la kefta au prix d’un feuilleté au foie gras truffé.