Mes bons amis, Zakaria Boualem s’adresse à vous dans une position qu’il est difficile de décrire sans entamer le crédit qu’il a su gagner au fil du temps. Le vaillant Guercifi est terré sous sa couette, enfermé à double tour dans son logis, il n’est pas sorti du week-end. Signe de grande détresse morale, il en est arrivé à regarder un match du championnat qatari, que Dieu l’assiste. Depuis qu’on lui a dit que Casablanca était livrée aux égorgeurs, il est terrorisé. Il ne l’a pas seulement entendu, il l’a aussi vu puisqu’un troupeau de spectaculaires crétins ont estimé judicieux de poser sur Facebook munis de leurs sabres et de leur butin. C’est affreux. Il est d’autant plus terrorisé, le Boualem, qu’il ne voit pas vraiment qui peut le sauver des griffes de ces énergumènes. Il entretient en effet une confiance modérée à l’égard de notre glorieuse police, allez savoir pourquoi. Il s’est même amusé à faire un petit bilan de sa relation avec ce corps de service public et il est arrivé à la conclusion étonnante qu’il lui avait créé plus de problèmes qu’il ne lui en avait réglé.
Oui, l’édification du Maroc moderne, démocratique, social, populaire, emprunte parfois des chemins étonnants. Il ne va pas ici entrer dans les détails de la démonstration, il paraît qu’ils sont en plus un peu susceptibles. Sous sa couette, en fait un bourabeh pour être précis, notre héros a le temps de réfléchir. Il se demande pourquoi ces héros de la criminalité sont apparus soudain. Il paraît même qu’on en a arrêté 691 d’un seul coup, c’est spectaculaire. Il ne sait pas quoi faire. Il refuse d’en appeler au grand retour de la zerouata, c’est une question de dignité. Et de logique aussi, puisqu’il n’est pas absolument convaincu que celle-ci ait jamais quitté la scène. Il est même possible que ce soit son omniprésence et sa sacralisation qui soient à l’origine de ce désastre. Oui, pendant des années, on nous a expliqué que hamdoullah on était en sécurité au Maroc, qu’il y avait un prix à payer pour cela, que bon, c’est pas toujours top mais hamdoullah quand même, qu’il faut pas trop en demander parce que sinon c’est la siba, que personne ne veut, Dieu nous en préserve, etc. Vous connaissez le refrain.
Comme d’habitude, son esprit tordu a continué à se poser des questions, c’est un défaut qu’il tente de combattre. Il se demande comment on fait pour arrêter 691 personnes d’un seul coup. Etaient-ils connus des services de police, ces énergumènes ? Alors pourquoi ne pas les avoir pris au fur et à mesure de leurs méfaits ? Est-ce une 7amla ? Il paraît que parmi ces 691 personnes arrêtées, 137 étaient recherchées. C’est encore plus troublant. Est-ce à dire qu’on ne les cherchait pas vraiment avant de se mettre à les chercher soudain, ou elles étaient toutes invitées au même anniversaire, d’où ce coup de filet spectaculaire ? Et, surtout, combien y a-t-il de personnes recherchées, et pas trouvées, du coup ?… 5000 ? 10 000 ?… Pourquoi se met-on soudain à parler de criminalité alors que depuis des années, les Casablancais se font agresser tranquillement, dans l’indifférence générale ? Faut-il y voir un complot des ennemis de la nation, œuvrant à saper le travail d’édification du Maroc moderne SARL ? C’est du moins l’opinion de certains responsables, et c’est très perturbant. D’autres y voient la main cachée des responsables, justement, et c’est encore plus perturbant. C’est là notre destin : dans le monde des ténèbres, tout est possible. Et soudain tout est impossible, avant de redevenir possible pour un temps indéterminé.
C’est à ce moment précis que notre héros, mû par un sursaut d’orgueil, décide de quitter son bourabeh, sa télécommande et son logis pour aller faire quelques courses. Saura-t-il déjouer les pièges des égorgeurs des rues ? Devra-t-il combattre pour ramener à la maison le nécessaire du week-end, à savoir une boîte de thon et du Doliprane ? Le suspense est insoutenable, rendez-vous la semaine prochaine pour la suite…