Beaucoup d’entre nous viennent de suivre avec intérêt le feuilleton des élections municipales françaises et la nomination d’un nouveau gouvernement, emmené par Manuel Valls. Pour résumer, la défaite électorale du Parti socialiste a poussé le président François Hollande à se séparer de son ami de toujours, Jean-Marc Ayrault. Aucune loi ne l’y obligeait. Théoriquement, Hollande aurait pu attendre tranquillement la fin de son mandat et les prochaines élections législatives, en 2017. Sauf que la Constitution française délègue au président de la république un pouvoir presque discrétionnaire de nomination du Premier ministre et que, forcément, il essaie d’en user de manière à servir au mieux ses intérêts politiques. En l’occurrence, un président élu pour cinq ans avec la possibilité de rempiler a naturellement les yeux rivés sur sa réélection. Or le pouvoir de nommer le Premier ministre est l’une de ses cartes maîtresses. Il permet à Hollande d’envoyer un signal fort à l’opinion publique. En misant sur la capacité de Valls à attirer le feu des projecteurs, le président français peut aussi prendre un recul salvateur et, le moment venu, faire office d’arbitre ou de sauveur.
En fait, la pratique française du régime présidentiel à deux têtes instauré en 1958 a consacré un bicéphalisme bancal où le Premier ministre a presque toujours le mauvais rôle. Les statistiques sont ici riches d’enseignements : sur les 20 anciens Premiers ministres de la Ve république, aucun n’est parvenu à se faire élire président immédiatement après avoir quitté la primature. Autre fait saillant, sur les sept présidents qui se sont succédé depuis 1958, seuls deux sont d’anciens Premiers ministres. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont envisagé leur nomination à la primature comme un tremplin vers la magistrature suprême. Las, ils ont presque tous buté sur la plus haute marche du pouvoir. C’est à se demander s’il existe en France une sorte de malédiction des Premiers ministres : surexposés et sans défense face au président, ils sont, en situation de crise, un fusible qui prévient l’incendie et protège le chef de l’Etat.
Lorsqu’on parle de mécanismes constitutionnels – ce que sont les élections municipales et la nomination d’un Premier ministre –, la référence à la France, pour nous Marocains, est souvent pertinente. Tout simplement parce que le système politique marocain, où le roi partage officiellement le pouvoir exécutif avec le Chef de gouvernement, se caractérise lui aussi par une certaine forme de bicéphalisme revendiqué, tout aussi bancal et déséquilibré que le français.
Sauf que chez nous, par définition, le roi n’est pas candidat à sa réélection. Son fusible ne lui sert pas à grappiller des points auprès de l’opinion publique, mais à meubler le temps, d’élection en élection. Il n’y a d’enjeu ni pour le roi, ni pour son Chef de gouvernement : chacun à son poste, tous deux plafonnent. La différence essentielle réside dans la durée et la nature de leur mandat : CDI garanti à vie pour le roi, CDD de 5 ans (de préférence non renouvelable) pour le Chef de gouvernement. Nous avons en somme des Premiers ministres de commodité dont le rôle, après avoir tutoyé les cieux, est d’attendre dans l’antichambre du pouvoir qu’on daigne leur confier une quelconque mission. Au final, c’est sans doute pour ça que nous vivons la vie politique française par procuration : le jeu électoral y est enjeu lorsqu’il n’est chez nous qu’un jeu de patience, ou pire, un jeu de dupes. D’ailleurs, il paraît que nos élections communales n’auront pas lieu avant 2015. Faisons semblant d’attendre, c’est peut-être ce qu’il nous reste de mieux à faire.