La seule véritable industrie que le Maroc a su développer, ces dernières années, est sans doute celle de l’événementiel. Monter des chapiteaux sous une pluie battante, organiser des conférences, inviter la presse locale et internationale pour annoncer des objectifs surréalistes… dans ce domaine, on excelle ! On a même des champions capables de réaliser des prouesses en un temps record, sauf qu’il ne faut pas venir les encombrer avec les lourdes procédures d’octroi de marchés publics. Surtout quand il s’agit d’un événement sous la présidence effective de Mohammed VI, organisé en urgence. Car là on passe carrément à l’industrie lourde de l’événementiel.
Dans ce genre de grand-messe où aucun décideur ni businessman ne manque à l’appel, la polémique politicienne n’est jamais loin. Les Assises de l’industrie, version Moulay Hafid Elalamy, en est l’illustration. Le 2 avril, il a passé son premier test royal, sa première présentation publique devant Mohammed VI. Et il l’a réussi. Le roi était au rendez-vous, avec toute sa cour au premier rang évidemment, à boire les paroles de son ministre. Il l’a même applaudi et a assisté à la cérémonie usuelle de signature des conventions qui clôture ce genre de présentation. Le succès dans cette épreuve a visiblement gonflé à bloc Elalamy. Au point qu’il a profité de la conférence de presse, à l’issue de l’événement, pour régler ses comptes avec ses bons vieux copains de la confédération patronale. Car l’ancien président de la CGEM, devenu responsable gouvernemental, n’a pas apprécié que Miriem Bensalah, l’actuelle patronne des patrons, lui dame le pion cinq jours avant son événement, en présentant aux médias une étude sur la compétitivité (voir p. 48). Il y avait de quoi lui gâcher la fête, sachant que l’étude contient des doléances que le ministre a voulu « emballer » comme de grandes annonces (respect par l’Etat des délais de paiement par exemple).
Moulay Hafid Elalamy a eu des mots durs à l’égard de ce travail du patronat qu’il a qualifié de « carnet d’épicerie ». Cela dit, il n’a pas tort de souligner que son département a déjà de quoi remplir des camions de paperasse d’études dans tous les domaines, pleines de recommandations formulées par les cabinets les plus prestigieux du monde. On ne peut pas lui reprocher de vouloir rompre avec cette approche d’études commandées.
Mais cette attaque contre le patronat est une maladresse dont Moulay Hafid Elalamy aurait pu se passer. Elle laisse planer un sentiment de division entre son département et le monde des affaires. Pourtant, le ministre, loin d’être un bleu dans le business, sait qu’il a besoin des grands patrons pour mettre en œuvre son plan d’accélération industrielle. D’autant qu’il met la barre des ambitions plus haut que jamais. Deux chiffres pour s’en apercevoir : il vise à l’horizon 2020 de porter à 23% la contribution de l’industrie au PIB (contre 14% actuellement) et la création de 500 000 emplois (alors que sur la dernière décennie, l’industrie n’a pas généré plus de 75 000 postes de travail). Comment atteindre ces objectifs ? Elalamy n’a jusque-là pas pris le temps d’expliquer et de convaincre. Cela viendra, un jour, inchallah. Il faut juste espérer que ce soit avant 2020. Car d’ici là, il est peu probable que Moulay Hafid Elalamy reste à ce département. Et comme à ses prédécesseurs, personne ne lui demandera des comptes.