C’est la polémique de la semaine. Abdellah Bekkali, député de l’Istiqlal, critique le programme Massar en faisant allusion à de supposés avantages pécuniaires tirés par Mohamed El Ouafa. Le ministre lui répond en l’accusant ouvertement de s’être enrichi au cours de sa carrière politique. Les deux personnages publics se livrent alors au déballage de leurs patrimoines pour prouver leur intégrité. Les directions de partis et de mouvements politiques s’en mêlent et on évoque même une crise entre gouvernement et parlement à la veille de la session de printemps…
Sous d’autres cieux, ce règlement de comptes fratricide entre la star montante de l’Istiqlal et le ministre « apatride », viré du parti de la balance, aurait constitué du bon storytelling pour les Guignols de l’info. Mais chez nous, ce chahut médiatique n’a rien de drôle. Il est plutôt pittoresque et surtout révélateur du niveau déplorable de nos politiques. On croyait avoir tout vu avec les joutes verbales entre Istiqlaliens et Pjdistes qui avaient animé la vie publique au long de l’année 2013, jusqu’au divorce entre les deux partis en octobre dernier. Mais là, on atteint le summum de la violence politique. L’affrontement témoigne d’un malaise profond et d’une véritable crise de confiance dans nos politiques. Quand eux-mêmes se lancent (avec peu ou prou d’éloquence) des accusations d’accumulation de fortune pendant l’exercice de mandats publics, il ne faut pas s’étonner de voir l’homme de la rue considérer la majorité de nos politiciens comme des voleurs présumés. Bercé, pour ne pas dire berné, pendant des décennies par une démocratie fragile où l’accès au pouvoir a été synonyme d’ascension sociale fulgurante, le Marocain moyen a besoin de temps avant de retrouver la foi dans son élite politique. Surtout dans un royaume d’inégalités où l’ascenseur social est hors service (voir dossier p.26)
Cette image de présumé cheffar colle malheureusement à la peau de nos politiciens, toutes formations confondues. Jusque-là, le PJD est un des rares partis à ne pas traîner de casseroles, sans doute parce qu’il est novice dans l’exercice du pouvoir. Hormis quelques cas isolés –le maire de Midelt pris en flagrant délit de corruption, il y a quelques années, pour ne citer que lui –, le parti de Abdelilah Benkirane n’a jamais été mêlé à de gros scandales politico-financiers. Les hommes forts du PJD savent que cette réputation de probité constitue leur principal atout. Et c’est une condition sine qua non pour faire fructifier au mieux leur ligne politique religieuse. C’est ce qui leur a permis jusque-là d’attirer aux rendez-vous électoraux, en plus de leurs bases et sympathisants actifs, une frange de votants occasionnels séduits par leur intégrité. A croire que les Marocains sont résignés : ils préfèrent des bleus dans la gestion de la chose publique mais honnêtes, plutôt que des surdoués efficaces, mais susceptibles d’abuser de leur position pour servir leurs propres intérêts.