Avoir autant de pouvoir d’achat dans un pays où vous êtes si peu à en bénéficier te donne surtout ce privilège un peu glauque de vivre en circuit fermé. Maserati bat des records de vente et pourtant tu as le choix entre quatre restos où tu peux décemment aller dîner. Alors fatalement tu tournes en rond. Et fatalement tu t’ennuies. Selon certaines légendes de l’Histoire, l’ennui serait à l’origine de l’exaltation révolutionnaire. Peut-être, ailleurs, dans d’autres contextes. Toi, le confort t’a anesthésiée depuis bien trop longtemps pour imaginer le moindre changement. Et en plus ta nourriture spirituelle quotidienne se résume à des bribes de tberguig aussi croustillantes que des chips de la veille. Alors, à défaut d’amours passionnées, d’engagements intrépides ou autres engouements, c’est la caféine et beaucoup trop de coca light qui donnent des palpitations à ton petit cœur tout serré. La surabondance de vide t’a fabriqué une superbe carapace. Mais tu n’es pas pour autant cette blonde impeccable en robe rouge, au brushing parfait et sans contenu. Tu aimerais. Tu aimerais tellement être une beauté absolue, libre de toute personnalité. Tu serais prête à appeler bonheur ce à quoi on t’enchaînerait. Mais toi, tu n’as pas peur de donner ton avis. Et Dieu sait à quel point c’est risqué dans cet univers où même la couleur de la tasse de Nespresso est régulée par une sorte de fashion police. Toi tu oses déplaire. Tu as bien compris que c’était sans doute le meilleur moyen de plaire.
Du coup, tu cherches les ennuis pour chasser le tien. Tu as suivi un inconnu jusqu’à déchanter en l’entendant ronfler. Dans cette soirée un peu absurde, tu as décidé de briser un peu de tes rêves. Ce n’est pas tant le garçon qui t’a plu que la perspective d’essayer autre chose. De rendre au moins une de tes nuits plus belle que tes jours en te prenant pour l’héroïne étrange d’un mauvais roman. Il t’a raconté des inepties. Tu as souri, forcément. Mais cette fois, tu as même posé des questions : tu as décidé de trouver ça intéressant. Alors tu as dégainé toute la panoplie de la séduction préfabriquée. Les cocktails et la furieuse envie d’adrénaline aidant. Clairement, niveau rythme et hygiène de vie tu tiens plus d’une Kate Moss, la rédemption et la grâce en moins, que d’une Emma Bovary alanguie dans sa morale. Au moins, ce qui est sûr c’est que la liste de tes bêtises sera bien plus longue que celle de tes regrets. Et c’est déjà ça.
Et pourtant, tu rêves de belles histoires romanesques mais ça tu n’oseras jamais l’avouer. Grandir, c’est censé être accepter sa vulnérabilité. Tu n’en es pas encore à ce stade de maturité. Tu parviens difficilement à sortir sans mascara. Au lieu de ça, tu vas te contenter d’une nuit un peu sordide, d’une banalité affligeante mais que tu raconteras comme un événement inoubliable. Alors tu camoufles les cernes et autres traces de tes aventures de la veille et tu vas rejoindre tes copines pour prendre un thé. Le thé est tout de même la seule boisson qui a le pouvoir magique de te faire croire en trois gorgées que ta vie est sereine et tellement saine. Et comme tu le bois au jasmin, tu te crois en plus délicate. Tu croques un whoopie. Le whoopie est ce qui va détrôner le cupcake d’ici quelques mois. Sucré, crémeux dedans croustillant autour. Finalement, ce que tu cherches chez un mec, tu le trouves dans une pâtisserie. Et à défaut de bâiller en écoutant des histoires aussi inintéressantes que la tienne, tu vas te mettre du rouge à lèvres. Au moins ça te rendra plus jolie.