La surpopulation des grandes villes et la rarification du foncier disponible ont transformé le tissu urbain. Depuis quelques années, de nouvelles “banlieues chics” font leur apparition à la lisière des grandes villes … Zoom sur un phénomène social urbain.
Tamaris, à une vingtaine de kilomètres au sud de Casablanca. Connu pour ses belles plages, ce site balnéaire s’est transformé en quelques années en une véritable champignonnière de banlieues chics. Conçues sur le modèle américain des suburbs, ces résidences privées regroupent des dizaines de rangées de villas de haut standing et d’immeubles de luxe. Ici la qualité de vie est exceptionnelle : les résidences garantissent à leurs habitants calme et sécurité, un environnement idéal pour les familles dont les enfants s’offrent même le luxe d’abandonner leur vélo sur le trottoir.
Climat plus zen, proximité des plages et tranquillité du quartier, les arguments des promoteurs ne manquent pas et séduisent de plus en plus de jeunes cadres fuyant les grandes villes pour un environnement résidentiel plus agréable. Notamment des jeunes couples mariés avec enfants. Le concept est nouveau et, surtout, il répond à une demande de plus en plus forte de logements différents et mieux adaptés. L’architecture moderne et contemporaine des maisons, en général ouvertes sur l’extérieur et suréquipées, place les banlieues chics au coeur des tendances. Mais il n’y a pas qu’à Tamaris que le concept attire les acheteurs : les banlieues chics se multiplient un peu partout autour de l’axe Casa-Rabat, notamment à Bouskoura où les projets immobiliers en cours de construction, dont le fameux Casa Green Town, ont déjà trouvé acquéreurs. C’est également le cas au sortir des grandes villes, à Mohammedia, Bouznika, Skhirat ou encore Taghazout près d’Agadir. Le phénomène est observable à l’intérieur des villes aussi, où le rare foncier encore disponible est réhabilité pour bâtir de grandes résidences d’immeubles de luxe ultra-protégées. Le succès des suburbs marocaines révèle une évolution dans la conception architecturale de luxe : les grands promoteurs immobiliers que sont la CGI, Prestigia, la filiale luxe du groupe Addoha, Parlmeraie Développement ou encore le nouveau-né Yasmine Signature ont compris qu’il fallait s’adapter à l’évolution des mentalités et surtout celle des structures familiales. Finalement, il ne reste plus ou très peu de foncier dans les grandes villes pour les petits promoteurs. Les petits projets sont moins nombreux à voir le jour. Ce qui est sûr, c’est que l’architecture contemporaine est devenue l’argument de vente des projets immobiliers.
Les nouvelles conceptions de l’habitat
En 2014, la villa marocaine se réinvente : la conception classique de la maison familiale, copiée sur le modèle architectural français ou espagnol, ne répond plus aux besoins des familles actuelles. Longtemps réservé aux grandes réunions familiales, le traditionnel salon marocain est devenu un espace inhabité. Un comble surtout que le salon beldi occupe en général la plus grande pièce à vivre de la maison. Aujourd’hui, on ne fait plus de différence entre le salon marocain et européen. Les familles privilégient les grands séjours avec un petit salon moderne et une grande salle à manger.
D’autres lieux mythiques de la maison familiale ont également tendance à disparaître : les nouvelles villas ne comptent plus de coin cheminée, mais sont plutôt équipées d’un système de climatisation centralisé. Les sous-sols sont de moins en moins prévus sur les plans des villas de luxe, auxquels on privilégie les maisons de plain-pied. Par contre, de nouveaux blocs sont aménagés pour abriter le personnel : studio pour le gardien, chambre indépendante pour la femme de ménage ou encore la nounou. La nouvelle clientèle de l’immobilier de luxe est également à la recherche d’espaces verts : les maisons sont pensées pour offrir une vue imprenable sur l’extérieur, en général un grand jardin privé, une piscine collective ou, mieux encore, une vue sur mer pour les maisons situées en première ligne. Le Maroc est d’ailleurs précurseur dans la région en termes d’innovation architecturale.“Depuis les années 2000 et le retour au Maroc de jeunes architectes formés à l’étranger, les façades des villas construites dans les années 1980 et 1990 sont devenues obsolètes”, analyse Yasmine El Kasri, architecte à Casablanca. Beaucoup de grands projets immobiliers sont également signés de la main d’architectes étrangers. Le projet Casa Anfa actuellement en construction a été conçu par l’architecte français Edouard François pour Yasmine Signature. Il a notamment innové en créant une tour végétale dont les appartements de luxe se sont vendus comme des petits pains. Pourtant, le secteur immobilier connaît une crise certaine où le luxe n’est pas épargné. En réalité, la quasi-absence de foncier disponible et la saturation des quartiers riches dans les grandes villes ont transfiguré le tissu urbain, obligeant les promoteurs immobiliers à sortir des villes, délaissant parfois des opportunités immobilières intéressantes au coeur du paysage urbain. L’immobilier de luxe nécessite de grandes levées d’argent.
Luxe des villes, luxe des champs
Si la demande est forte, tous les projets ne trouvent pas toujours leurs acheteurs. Le projet de la marina de Casablanca dont les travaux tardent à être achevés, en est un exemple. En fait, le luxe à l’intérieur des villes se vend moins bien qu’en périphérie, d’une part parce que les prix du foncier ont flambé, rendant les logements de luxe à peine accessibles à quelques fortunés à la recherche de résidences secondaires. D’autre part, parce qu’il est plus rentable pour les promoteurs immobiliers d’investir dans le logement social ou le moyen standing plutôt que dans le luxe. Outre un lourd investissement, l’immobilier de luxe ne garantit pas toujours des ventes assurées. Pour Yachar Bouhaya, architecte à Casablanca, la hausse des prix du foncier en ville est devenue problématique : “Un appartement à Gauthier coûte aussi cher qu’à Montréal !”. Les prix au mètre carré dépassent souvent 23 000 DH. Pour l’architecte, le principal handicap de ces nouvelles résidences urbaines réside dans leur conception. Sans planification urbaine, les grandes villes se développent de manière chaotique. Casablanca en est l’exemple le plus parlant : la capitale économique est en totale mutation, elle possède aujourd’hui de multiples microcentres interdépendants. En parallèle, de nouveaux quartiers résidentiels émergent au sein de la ville, à l’image de Maârif Extension, qui accueilleront à l’avenir les prochaines résidences de luxe. Pour Yachar Bouhaya, “les clients achètent avant tout une adresse”. Pourtant, l’architecte est persuadé que l’avenir est dans la réhabilitation des vieux immeubles. “L’ancien centre ville casablancais recèle de vraies merveilles architecturales qui peuvent être transformées en lofts luxueux”. Mais ces anciens quartiers sont souvent non sécurisés et ne disposent pas des infrastructures nécessaires à une vie de famille. Sans stratégie politique claire pour redéfinir les villes, les quartiers à fort potentiel immobilier risquent d’être encore délaissés, favorisant ainsi le développement à l’extérieur des zones urbaines. Finalement, en ville ou à la campagne, le luxe reste une affaire de goût.