Créé en 1990 par Michel le Bris, le festival Étonnants Voyageurs vise à promouvoir les littératures du monde. L'édition de 2014 qui s’est tenu à Rabat, a accueilli quelques 90 écrivains et artistes. Retour sur les moments forts de l'évènement.
Femmes & cyberactivisme
Pendant quatre jours, la capital est sorti de son calme légendaire. Rabat a accueilli, du 6 au 9 mars, débats, conférences et projections. Après deux jours plutôt appesantis, le festival a atteint sa vitesse de croisière à partir du Samedi 8 mars. A 11h la salle Bahnini a hébergé le débat radiophonique de France Inter, qui a délocalisé son antenne pour l'occasion. Sur scène, Oum et ses musiciens achèvent leurs dernières répétitions en vue de jouer en live. La radio a invité plusieurs acteurs de la société civile dont Chafik Chraïbi, fondateur de l'Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin, Fedwa Misk, fondatrice du webzine collaboratif féminin Qandisha, Ibtissame Lachgar, fondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés Individuelles au Maroc et Khadija Ryadi, ex-présidente de l’AMDH. La discussion tournait était autour de problématiques sociétales : avortement, liberté sexuelle, visibilité des femmes dans l'espace public. De débat, il n'y en n'a pas eu vraiment, malgré leurs approches différentes, les invités partagent le même avis sur ces questions.
L'après-midi, ce sont Driss Ksikes et Yves Gonzalez Quijano, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient, qui ont régalé l'assistance. Leur conférence, intitulée "Printemps Arabes. Une cyber révolution ?", a exploré le rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes. Une question ressassée, mais sur laquelle les deux conférenciers ont jeté une lumière nouvelle, loin des thèses des cyberoptimistes, qui croient au pouvoir libérateur des réseaux sociaux, et celles des cyberpessimistes, qui y voient un outil condamné à tomber sous le contrôle des régimes politiques.
L'Islam en question
Dimanche 9 mars, dernier jour du festival. A 11h, la journée s'est ouverte sur une conférence de Christian Jambet, philosophe français. Le thème: la philosophie islamique. Souvent minorée, paradoxalement, en terre d'Islam, elle traine néanmoins une imposante histoire. Proposant une relecture du Coran, à la lumière de la philosophie grecque (mais pas que), la philosophie islamique a consacré ses efforts à l'étude des questions théologiques qui divisent encore de nos jours : faut-il se contenter d'appliquer la parole de dieu, même quand on l'estime contraire à la raison ? Faut-il considérer le Coran comme un livre portant des vérités immuables dans le temps et l'espace, ou au contraire en faire une lecture adaptée à chaque époque ? Le public, mêlant étudiants, professeurs et simples spectateurs, a montré un vif intérêt.
A 15h, c'était au tour de Jean-Marie Gustave Le Clézio de mobiliser les masses. Écrivain prolifique, lauréat du prix Nobel de la littérature en 2008, il est, avant tout, un grand voyageur. Ses romans "Désert" et "Poisson d'or" se déroulent au Maroc. Aux cotés de Patrick Chamoiseau, un écrivain martiniquais qui a remporté le Goncourt en 1992, ils ont parlé de la relation qu’entretient l'écrivain avec les mots ainsi que du pouvoir magique de ces derniers. Chacun racontant ses débuts dans l'écriture, ainsi que la manière dont celle-ci libère la voix des peuples colonisés. Chamoiseau, excellent orateur, en a profité pour partager quelques anecdotes sur le patrimoine oral créole.
A 16h15, retour sur la question religieuse. Cette fois, c'est l'islamisme qui a été discuté par Abdelwahab Meddeb, écrivain, et animateur de radio franco-tunisien, Boualem Sansal, écrivain algérien et Souleyman Bachir Diagne, philosophe sénégalais. Après une introduction apocalyptique du "fléau islamiste", faite par Boualem Sansal, la conférence a pris une tournure plus réfléchie avec l'intervention de Bachir Diagne. Si aucun des trois n'a proposé de voies pour sortir de l'impasse religieuse, ils ont souligné l'importance de libérer l'Islam de son appropriation par les islamistes.