La relaxe d’un Marocain converti au christianisme, par le tribunal de Fès récemment, remet au jour la question de l’apostasie et de ses rapports avec la loi. Alors, après l’article 475 et l’affaire Amina Filali, finirons-nous par nous confronter à l’article 220 et un effet dramatique ? Dans une population d’une quarantaine de millions d’individus, un relaps, un apostat, un converti, selon le terme et la perspective choisis, c’est affaire d’aléas. On dira : voilà encore un article du Code pénal marocain qui ne correspond pas au droit des individus. Pas si sûr.
L’article 220 a été pensé dans un contexte précis. Il ne visait pas à réprimer la liberté des Marocains mais à protéger le pays des empiétements coloniaux. Relisons quelques passages de ce court article : « Est puni d’un emprisonnement de 6 mois à 3 ans quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins des établissements d’enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats ». C’est une condamnation institutionnelle, qui vise des collectivités organisées. La peur des missionnaires n’était pas qu’une hantise paranoïaque. On oublie trop souvent que l’impérialisme des Lumières fut toujours accompagné, soit en avant-garde, soit dans ses bagages, par les ordres missionnaires. L’Afrique du Nord en particulier offrit aux puissances coloniales française, espagnole, italienne, l’occasion de rêver d’une reconquista enfin achevée. Et les hôpitaux, les écoles, les orphelinats, les distributions d’aliments ou de médicaments, étaient autant d’occasions de passer, en contrebande, des articles de foi.
Des articles comme le 220 furent élaborés, parfois avec l’aide des puissances coloniales d’ailleurs, dans ce cadre, et pour défendre des populations miséreuses et déstructurées par la violence coloniale, d’opérations prosélytes de grande envergure. Bien. C’était en 1900. En 1912. En 1956. D’accord. Mais aujourd’hui ? Quelle menace institutionnelle prosélyte pèse sur le Maroc ? Les évangéliques américains ? Ils menacent les catholiques surtout. Ils touchent à peine au monde musulman, et encore moins aux pays francophones. Ce n’est pas leur cœur de cible, comme ils diraient. Cet article 220, qui fut élaboré pour protéger, devient donc un outil à réprimer. Une répression potentielle, parce que le tribunal, dans cette affaire en particulier, a décidé la relaxe. Mais demain, mais ailleurs ?
Il y a dans les sous-bassements du droit marocain une batterie d’articles construits sous des périodes d’agression, pensés pour protéger la collectivité, et devenus, au fil de l’histoire, des pièces rapportées dont on ne sait que faire, sauf réprimer individuellement. L’affaire Amina Filali avait déjà démontré la force paradoxale de ces articles qui, d’outils de protection collective, deviennent des armes de répression individuelle.
Avant qu’un nouveau drame ne se produise, il faut, urgemment, remettre à plat une partie de notre Code pénal, en pensant, non à son « occidentalisation », mais au contraire, à sa « désoccidentalisation », à le désarmer des piques et des lances créées sous des périodes de guerre, alors que le Maroc et les Marocains aujourd’hui sont au contraire dans une dynamique d’ouverture et de prise de conscience qui réclame moins d’entraves.