Cher lecteur, il n’aura pas échappé à votre perspicacité que Casablanca est l’objet d’un plan d’urgence. Si vous avez loupé l’information, vous pouvez remercier Zakaria Boualem. De rien. Il y a quelques semaines, notre héros vous rapportait les détails d’un autre plan d’urgence, toujours pour Casablanca. Il concernait la culture. Il n’a pas la force d’en relister les détails, mais il se souvient qu’on annonçait fièrement la construction de cinq musées. Oui, cinq, c’était déconcertant. Eh bien, ce nouveau plan d’urgence est encore plus phénoménal. On annonce un métro aérien, des tunnels, des espaces verts, des rocades… On parle de refaire des voiries, revoir la propreté, refaire la signalétique, les ronds-points… Pas de chiffres pour évaluer tout ça, mais nous ne sommes pas là pour chercher la petite bête ni diffuser du pessimisme. Nous sommes là pour aider à la construction du Maroc moderne, tous ensemble, la main dans la main, et merci. Le cœur gonflé, les yeux rivés sur l’horizon 20130 (non ce n’est pas une faute de frappe), nous avançons infailliblement, c’est incontestable. Il est toutefois permis de se poser des questions. Zakaria Boualem a l’impression désagréable que ces plans d’urgence se multiplient comme des moutons la veille de l’Aïd sans grande influence sur son quotidien. Comme il est un homme rigoureux, il se méfie de ses impressions.
Alors il est allé sur Google, il a tapé « plan urgence Maroc ». Il a trouvé des plans d’urgence en quantité abondante. Il y en a eu un sur l’éducation, par exemple. Il date de 2009 et s’est déployé jusqu’à 2012. Il est donc terminé. C’est bizarre, parce que Zakaria Boualem n’a pas vraiment perçu l’urgence dans le travail de l’Education nationale durant cette période. Il semblerait même que nous ayons un peu plus chuté selon les indicateurs mondiaux. Il y a aussi des plans d’urgence sur la réforme de la justice, la lutte contre la corruption, la sécurité routière. Nous sommes apparemment plongés dans l’urgence. Le problème de l’urgence permanente, c’est qu’elle finit par fatiguer, et qu’elle génère des attentes immédiates qui sont autant de frustrations. Il fut un temps où nous créions des commissions penchées sur nos nombreux problèmes pour les résoudre. Elles prenaient le temps de la réflexion (c’est le moment où elles se penchaient) et sombraient dans l’oubli. Nos problèmes se transformaient alors en données, que nous adoptions avec affection, jusqu’à les considérer aussi immuables que la présence de l’océan sur nos côtes. Mais l’heure des commissions anesthésiantes est terminée, voici venu le temps de l’urgence.
Il existe à Casablanca un objet architectural nommé le Stade Philipp. Cette chose est un terrain muni de tribunes pour abriter des rencontres de football. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est interdit au public de s’asseoir sur les tribunes parce qu’elles ont été construites dans un angle tel que cette audace se solderait aussitôt par une chute libre. On a construit une tribune « debout » pour des gens qui ne peuvent donc pas s’y asseoir. A ce niveau, parler d’erreur de conception est un euphémisme. Incompétence non plus ne suffit pas. Ce stade trône au bord du boulevard des FAR, comme un symbole monumental de notre impuissance. Il n’a pas été rénové, ni détruit, il n’a pas été transformé en toboggan géant pour les enfants ou en piste skiable pour préparer les prochaines olympiades. Non, il est là, posé, spectaculaire d’inutilité. Dans un système qui respecte un minimum de logique, un tel objet aurait ruiné la carrière d’une demi-douzaine de personnes. Zakaria Boualem se demande si, chez nous, ce scandale en béton armé a déclenché des enquêtes ou des sanctions… Il faut vérifier ce point. Si Zakaria Boualem a tenu à vous parler de ce stade Philipp, c’est juste pour éviter que le plan d’urgence ne nous pose ce genre de chose à chaque coin de rue, et merci.