Alors que le gouvernement de l’Etat hébreu est enfermé dans une logique qui confine à l’autisme et qu’aucune perspective tangible de paix ne semble pouvoir émerger, alors même que se poursuit insolemment l’implantation de nouvelles colonies en territoire palestinien, quel Marocain épris de justice peut soutenir l’option d’une « normalisation » des relations avec Israël ? La terre promise du peuple élu ne peut pas être un Etat « normal ». Sa différence est inscrite dans son génotype. Le peuple de l’exil, de l’errance et du génocide ultime rejoue indéfiniment, pour lui-même et pour le monde, le mythe biblique de David et Goliath, ce combat inégal où, contre toute attente, le faible l’emporte sur le fort.
Peu importe que les roquettes palestiniennes qui s’abattent régulièrement sur les colonies israéliennes soient l’arme du pauvre ; peu importe que les enfants qui caillassent les chars de Tsahal n’aient rien de la puissance de Ramsès pourchassant Moïse ; peu importe que Yasser Arafat n’ait jamais été Adolf Hitler ; peu importe finalement que les représentants élus du peuple palestinien aient officiellement renoncé à la lutte armée. Car l’Etat israélien sous sa forme actuelle ne veut exister que dans l’adversité. Sa rhétorique interne – celle d’une culture juive bientôt submergée par une horde sauvage d’islamistes-terroristes – et sa communication externe – celle d’un pays démocratique cerné par une kyrielle d’Etats voyous – trompent heureusement de moins en moins. Les récentes mésaventures de l’actrice Scarlett Johannson ont remis sur le devant de la scène mondiale les tenants du boycott d’Israël. Faut-il rappeler que l’égérie de Woody Allen était depuis huit ans ambassadrice d’Oxfam, une importante organisation humanitaire internationale, avant de se voir désavouée pour avoir fait la publicité d’une multinationale israélienne dont la principale usine se trouve en Cisjordanie occupée ? Cette affaire témoigne de l’impact croissant d’une arme rénovée, que ni les grandes compagnies, ni le monde associatif, ni même les États ne peuvent plus ignorer : le boycott.
Mais le boycott dont nous parlons ici n’est pas celui du siècle dernier, d’abord orchestré par les Etats arabes comme le moyen de continuer économiquement un combat qu’ils ont militairement perdu. Lancée en 2005, la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) s’inscrit dans une autre logique, plus citoyenne qu’étatique, davantage fondée sur le droit, et visant plus particulièrement les territoires palestiniens colonisés. Ce n’est plus l’existence même d’Israël qui est niée mais les pratiques de l’Etat hébreu qui sont contestées. Le boycott dont il s’agit ici ne consiste pas en une fatwa lancée contre les touristes qui se rendent en Israël. Il ne vise pas des personnes ou des groupes en raison de leur religion, origine… ou destination. C’est en somme un boycott intelligent, qui ne punit pas indifféremment organisations et individus, qui interpelle les politiques étatiques bien plus qu’il ne s’immisce dans les choix des citoyens.
Malheureusement, au lieu d’analyser la montée en puissance de la campagne BDS, le Maroc patauge dans le non-sens : on pointe du doigt les dangers d’une « normalisation » avec Israël, tout en achetant de l’armement casher ; on veut emprisonner les Marocains qui se rendent dans l’Etat hébreu, mais on récompense des Israéliens partisans de l’intransigeance avec la Palestine. La victime de cette attitude ambivalente n’est autre que la population marocaine elle-même engagée dans une surenchère stérile à la détestation d’Israël, alors même que notre Etat, drapé dans son souci de l’intérêt général, se compromet avec toutes sortes de tristes sires.