Ta vie en l'air. Mise en boîte

Par Fatym Layachi

La boîte est blindée. Les videurs dehors ne servent pas à grand-chose, finalement. Seuls les habitués se présentent devant la porte de ce temple de la nuit.Un anonyme n’oserait pas. De toute façon, dans ce genre d’endroits, on ne devient pas VIP, on l’est comme une évidence depuis le jour de l’opening. A l’intérieur, les visages te sont familiers et, s’ils ne le sont pas, c’est qu’ils sont louches. Il fait chaud en boîte, tu dois aller au pipi-room vérifier une dernière fois ton make-up. Il faut qu’il tienne toute la soirée. Devant les chiottes, un type te demande si tu veux vraiment aller aux toilettes. Ben oui connard, s’en mettre plein le nez dans un lieu aussi glauque, tu laisses ça aux gens qui ont la chance de ne pas réaliser à quel point ils s’ennuient.

La boîte s’appelle le Carpe Diem. Tu es à un verre de rencontrer Descartes. Toi tu penses, donc tu bois. Tu bois donc tu danses. Tu danses donc tu oublies. Tu oublies donc tu recommences. Les boîtes, ici, n’ont pas vraiment de piste de danse.  Gigoter en rythme se fait autour de la table. Vu le prix qu’elle coûte, on ne s’en éloigne jamais trop.

La fille à la jupe trop courte se déhanche. Le garçon à la chemise satinée la repère. Ils se sourient. Il fait semblant de savoir danser. Elle a l’air faussement surprise. Tout le monde sait comment la soirée se poursuivra. Et comment cette histoire sans début se terminera. Ce n’est rien de plus qu’un samedi soir sur la Terre. Cabrel l’avait prédit : « C’est une histoire normale. Le verre qu’elle accepte et les sourires qu’il étale ».  Sauf que plus personne n’écoute Cabrel. Ou du moins, plus personne n’avoue écouter Cabrel, la tendresse n’ayant aucune valeur marchande. Et ces deux noctambules ne savent pas que, justement, c’est de tendresse qu’ils manquent. Alors ils se feront croire qu’ils vivent un moment de grâce absolument unique. La vodka hors de prix mixée à de la musique cheap peut aussi créer ce genre d’illusions…

Au loin tu aperçois aussi celle qui était la fille canon du lycée. Elle a eu son bac il y a 12 ans. Peu importe ! Une réputation, comme un patrimoine, peut être fructifiée. Elle a un peu perdu en fraîcheur ? Et alors ? Elle s’en fout. Elle papillonne de table en table. Elle parle si fort qu’elle arrive à allumer deux ou trois mini-étincelles dans les yeux d’un mec qui n’envisagera jamais de la revoir, mais qui est ravi de l’avoir croisée. Elle dit qu’elle ne veut pas d’enfant. Elle ment et elle ne s’en rendra compte que trop tard. Elle est cette fille qu’on conjugue à la tristesse. Qu’est-ce qu’elle était jolie ! Elle aurait pu avoir une vie merveilleuse. C’est peut être ça, la génération no future.

En reprenant des glaçons et pas mal de microbes dans ce grand seau qui brille, ton regard croise celui de la petite sœur d’un collègue. Tu lui demandes comment elle va. La réponse a le mérite d’être claire : « Pas de bague à mon doigt donc ça ne va pas ». Puis elle retourne glousser au milieu de sa bande de gamines, qui se voient en mères de famille alors qu’elles ont l’air de ne pas encore avoir fini leur croissance.

Enfin, le voilà. LE moment où tout le monde se doit de festoyer : LA chanson qui fait se lever toute personne ne voulant pas être prise pour un alien. Toi aussi tu remues les lèvres, presque aussi mal que dans un mauvais film des années 1990 doublé en polonais. Evidemment que tu les connais par cœur, ces paroles que tu ne comprends pas. Ton maquillage a tenu ses promesses. Il a masqué les angoisses et boosté ton ego. C’est ton meilleur allié, peut-être le seul d’ailleurs.