Depuis plus de deux ans, les habitants de la bourgade protestent contre la SMI qui exploite la mine d’argent. Si l’issue du bras de fer se fait attendre, la population n’a rien perdu de sa détermination.
Les habitants d’Imider ne désarment pas. Depuis août 2011, il ne se passe pas un jour sans que la population de cette localité de la région de Ouarzazate n’organise un sit-in. Les protestataires se réunissent au bord de la nationale 10, à l’endroit même où la Société métallurgique d’Imiter (SMI) a creusé un puits pour fournir de l’eau à la mine d’argent, située 2 kilomètres plus loin. En ce début d’après-midi ensoleillé, la température ne dépasse pas les cinq degrés. Mais ce n’est pas pour décourager les manifestants qui forment un cercle avec les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Au centre, un encadrant, mégaphone à la main, répartit le temps de parole entre les participants. « Chaque famille doit mettre à disposition une personne pour assurer la permanence et assister aux sit-in », nous lance Ahmed Agraouli, membre du comité d’organisation. Après deux heures de débats sur l’avancement des négociations avec la SMI, la foule marche en direction des trois grands hameaux qui forment la bourgade d’Imider.
Pour comprendre les sources de ce conflit, il faut remonter à 2004, quand la SMI décide de procéder à une série de forages pour pomper l’eau et l’acheminer vers la mine. Durant le mois de ramadan 2011, le débit d’eau s’affaiblit au point qu’elle n’est disponible au robinet que 30 minutes par jour. Les habitants décident alors de réagir et coupent l’alimentation du principal forage qui fournit la mine en eau. Depuis, ils campent à proximité du château d’eau, situé sur les hauteurs du mont Alebban, à 1400 mètres d’altitude, pour éviter que cette vanne soit rouverte. Avec le temps, les militants ont fini par construire de petites cabanes de fortune. La surveillance du château d’eau mobilise une soixantaine de personnes qui passent la nuit sur place. « Chacun participe à l’achat du thé, du pain et d’autres denrées de première nécessité », souligne Ahmed Daoudi, membre du comité d’organisation de la contestation. Sur les murs du château d’eau, les habitants ont peint une fresque en hommage à Mustafa Ouchtoban. Employé de la mine, ce jeune homme de 27 ans a été condamné en 2012 à quatre ans de prison ferme pour le vol d’une pépite de 18 grammes. « Le jour il travaillait dans la mine et le soir il venait soutenir le sit-in. Suite à un contrôle de son véhicule, les gardiens ont trouvé un morceau de minerai qu’il aurait volé. Nous pensons qu’il s’agit d’une machination pour faire peur aux habitants et briser la contestation. Il a écopé de la peine maximale », raconte Ahmed Daoudi.
Le village fait grise mine
Outre la problématique de l’eau, la population évoque la présence de certains polluants comme le cyanure, utilisé en masse pour extraire l’argent, et le mercure, un des résidus libérés par le minerai lors de son incinération pour obtenir l’argent pur. « Le cyanure et le mercure ont provoqué des dégâts environnementaux. Nous n’avons pas les moyens de prouver cela par une étude scientifique, mais nous constatons les conséquences sur la faune et la mort mystérieuse du bétail des nomades de la région », explique Mohamed Agraouli.
A la porte de la mine, les entrées et sorties du personnel sont soigneusement surveillées et tout le monde, sans distinction, est passé au détecteur de métaux. Pour surveiller la mine, qui produit chaque année 300 tonnes d’argent, une antenne de la gendarmerie et des Forces auxiliaires a été installée à proximité. Et pour cause, pendant plusieurs années, le minerai était pillé par des bandes organisées qui s’introduisaient dans la mine la nuit pour subtiliser le précieux métal. Il y a trois ans, des malfrats, profitant du manque d’effectif des surveillants, se sont attaqués au coffre de la mine et ont subtilisé une tonne d’argent. Depuis, la sécurité a été renforcée et aucune infraction n’a été commise. Mais ces vols à répétition ont installé un climat de suspicion et empoisonné les relations entre la SMI et les habitants d’Imider.
La SMI rassure
La société minière réfute les arguments des manifestants. « Nos études du bassin hydrique sont pointues et démontrent de façon irréfutable qu’il n’existe aucun impact de nos forages sur le niveau d’eau du village », assure Ahmed El Maliki, responsable des forages d’eau. Le directeur général de la branche métaux précieux de Managem (groupe qui chapeaute la SMI, appartenant au holding royal SNI), Youssef El Hajjam, nous accompagne pour une visite de la mine. Il nous explique le développement de procédés pour extraire le minerai en utilisant moins d’eau grâce au recyclage des ressources hydriques. Nous arrivons dans un pavillon où sont installés les incinérateurs et où le minerai purifié est traité pour extraire l’argent. A côté, des dizaines de bidons de cyanure sont entreposés. Dans les incinérateurs, plusieurs quantités de mercure sont récupérées après l’opération. « Le cyanure est un produit essentiel pour isoler l’argent et le mercure est collecté pour ne pas s’évaporer ou s’échapper dans les nappes phréatiques. Nous disposons des certifications d’un cabinet international, qui atteste que nous prenons toutes les précautions pour protéger l’environnement », souligne Youssef El Hajjam.
La couleur de l’argent
Malgré les multiples contacts entre l’administration de la SMI, les élus locaux et les représentants des populations, les négociations sont toujours au point mort. Pour obtenir réparation, les révoltés d’Imider exigent que la SMI leur réserve 75% des postes en cas d’embauche. Une condition que l’administration minière considère comme un moyen de bloquer la négociation. « Les 1150 personnes qui constituent le personnel de la mine sont réparties entre les travailleurs de la SMI et les sous-traitants. Les ouvriers originaires d’Imider représentent 30 %. Si l’on ajoute ceux issus de la région, nous arrivons à un total de 76 % », avance Youssef El Hajjam. Faux, selon les militants locaux. « Les habitants d’Imider ne représentent pas plus de 14% du personnel. Avec un quota de 75 %, la SMI réparerait tous les dommages causés à la population depuis le début de l’exploitation en 1969 », explique Mohamed Agraouli, qui accuse dans la foulée la CDT, le syndicat le plus représenté au sein du personnel de la SMI. « La CDT a négocié avec l’administration le droit pour les enfants de mineurs d’hériter du poste de leurs parents. Mais vu que les ouvriers originaires d’Imider sont une minorité, nous resterons toujours sous-représentés », souligne-t-il.
Pourtant, la SMI a financé une série de projets pour soutenir l’infrastructure locale, comme le renforcement des khattarates, ces canaux sous-terrains d’eau, la mise à disposition d’un médecin et d’une ambulance, mais rien ne semble convaincre les habitants. « Toutes ces actions dont la SMI revendique la paternité font partie des programmes étatiques comme l’INDH», souligne Ahmed Daoudi. « Nous savons que la mine a une durée de vie limitée. Mais nous y travaillons tout de même pour permettre à nos enfants de faire des études et leur ouvrir d’autres perspectives d’emplois», poursuit-il, avant de rejoindre ses camarades pour assurer la surveillance du château d’eau. La nuit s’annonce très longue et glaciale, mais le moral des troupes est intact.
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