Trois ans après la révolution, la Tunisie est en train d’adopter une nouvelle constitution. Dans le lot des articles déjà approuvés, il y a celui qui « garantit la liberté de conscience et de croyance ». Le libre arbitre acquis par les Tunisiens depuis l’ère Bourguiba reste alors sain et sauf, malgré la montée de l’extrémisme ces dernières années.
Au Maroc, nous n’avons pas réussi à inscrire la liberté de conscience dans notre texte constitutionnel. Pourtant, on était à deux doigts de réaliser cette prouesse lors des débats au sein de la commission Mennouni. Les conservateurs avaient néanmoins opposé leur veto, les modernistes s’étaient montrés peu mordants et les arbitres du Palais étaient restés dans une neutralité navrante.
Dieu sait pourtant à quel point le royaume a besoin de se retrouver en paix avec la religion. Au-delà des garanties apportées au citoyen par la reconnaissance de cette liberté individuelle fondamentale, son instauration nourrit de grands espoirs quant à la purge de notre Code pénal de multiples aberrations. Ces lois qui pourrissent la vie à des Marocains qui ont choisi d’être libres dans leur âme et conscience, mais qui restent otages de la croyance dominante.
Pour le pouvoir lui-même, accorder une telle liberté lui épargnerait bien des tracas. Le régime n’aurait plus à gérer les appels haineux de ces fqihs aliénés. Un cheikh comme Abou Naïm qui, bien avant d’excommunier Driss Lachgar, considérait la démocratie comme l’œuvre de Satan, passerait inaperçu. Idem pour l’imam Nhari, qui avait défrayé la chronique avec son appel au meurtre contre un journaliste dont le «crime» était d’avoir défendu la liberté de la femme de disposer de son corps. Et des dérapages du genre se multiplient, au point de devenir presque banals…
Les spin doctors du Palais profitent généralement de ce genre de polémiques religieuses pour en remettre une couche sur le rôle crucial d’Amir Al Mouminine comme rempart contre la montée de l’extrémisme. Leur méthode : un prêche aseptisé prononcé devant le Commandeur des croyants et rappelant les grandes lignes de « l’islam tolérant à la marocaine ». La démarche a le mérite d’apaiser temporairement les tensions, mais n’apporte pas de solution durable.
Car c’est au nom de la religion et en partant du principe que tous les Marocains sont musulmans par obligation que les radicaux peuvent sévir. Et ils sont partout, même dans les sphères de l’islam officiel. La fameuse fatwa du Conseil supérieur des ouléma condamnant l’apostat à la peine capitale est là pour le rappeler. Il n’est pas non plus rare d’assister dans les mosquées à des réquisitoires fielleux. Cela démontre à quel point le pouvoir a malgré tout du mal à déminer le champ religieux. Une alternative serait peut-être de libérer définitivement la conscience des Marocains. Quitte à prendre un grand risque : priver le régime d’un des piliers sur lesquels il assoit sa légitimité.