Mohammed VI rencontre enfin Barack Obama, l’homme le plus puissant du monde. C’est la première fois que les deux chefs d’Etat vont échanger une poignée de main et discuter entre quatre yeux à huis clos. De quoi vont-ils parler au juste ? Le seul élément de réponse nous parvient du service de presse de la Maison Blanche : “La lutte contre les extrémismes, le soutien aux transitions démocratiques et la promotion du développement en Afrique et au Moyen-Orient”, énumère un communiqué de la présidence américaine. Du côté marocain en revanche, c’est le silence radio. On parle juste d’une “visite de travail à l’invitation du président américain”. Personne ne nous dit exactement ce qui est au cœur des préoccupations marocaines pour cette rencontre au sommet. Mais tout le monde le devine. Ça se résume en un seul mot : Sahara.
Notre première cause nationale nécessite le soutien de l’Oncle Sam, le gendarme en chef de la planète. La diplomatie marocaine a appris à ses dépens que ce soutien n’est pas si inébranlable, contrairement à ce que l’on a toujours voulu nous faire croire. L’épisode d’avril dernier est encore présent dans les mémoires : pour la première fois, les Etats-Unis ont porté une revendication proposée chaque année par la partie adverse à la veille du vote de la résolution prolongeant le mandat de la Minurso. La mission onusienne pour le maintien du cessez-le-feu a donc failli voir ses prérogatives élargies à l’observation du respect des droits de l’homme, suite à un projet de résolution américain au Conseil de sécurité des Nations Unies. Son adoption aurait signifié une défaite cuisante pour le Maroc, une sorte de perte de souveraineté sur les provinces du sud. La débâcle a été évitée de justesse suite à une conversation téléphonique entre Mohammed VI et Barck Obama. Le même coup de fil durant lequel les deux dirigeants ont convenu de l’actuelle visite d’Etat.
Notre presse officielle oublie généralement de rappeler que, avant ce contact entre les deux chefs d’Etat, le Maroc a dû hausser le ton pour attirer l’attention de l’administration américaine sur la gravité du sujet. L’opération “Lion africain”, manœuvres militaires communes effectuées chaque année entre soldats marocains et américains, a été annulée. Une telle décision, il faut le préciser, est du seul ressort du commandant suprême des Forces armées royales, Mohammed VI en l’occurrence. Le Maroc envoyait ainsi un message clair : “Plus question de compter sur nous comme allié stratégique dans la lutte contre le terrorisme, notamment au Sahel, si vous envisagez de nous affaiblir sur le dossier du Sahara”. Un point de non-retour a failli être franchi. Il souligne malheureusement que, sur ce dossier crucial de l’intégrité territoriale, on se retrouve dos au mur (voir p. 16).
Que le Maroc soit un bon élève en matière d’ouverture économique, que son islam officiel soit un modèle de tolérance, que sa coopération soit exemplaire dans le domaine de la lutte contre le terrorisme sont des réalités que les Etats-Unis ne peuvent nier. Mais notre diplomatie a tort de se contenter de jouer cette carte du “Maroc, îlot de stabilité dans la région” pour faire pression. C’est le genre d’arguments qu’on gagnerait à laisser en filigrane, pour soutenir un véritable travail de fond. Car les arguments pour défendre la justesse de notre cause et montrer notre bonne foi de négocier une résolution définitive à ce conflit ne manquent pas. A leur tête, il y a ce plan d’autonomie élargie aux provinces du sud, salué pour son sérieux et sa crédibilité par quasiment toutes les chancelleries du monde. Seulement, depuis sa présentation en 2008, notre diplomatie s’est reposée sur ses lauriers. Et son application n’a pas avancé d’un iota. Aujourd’hui, on peut le réactiver : le modèle de développement des provinces du sud élaboré par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) sonne comme une sorte de traduction de ce plan d’autonomie en mesures concrètes. Il faut juste espérer que les recommandations du CESE ne restent pas lettre morte.
Un autre axe de travail de fond concerne la question des droits de l’homme. C’est notre talon d’Achille, sur lequel s’appuient nos adversaires pour tenter de nous mettre à genoux. Et en la matière, le Maroc est bien loin d’être exemplaire, que ce soit au sud ou au nord du pays. Regarder cette réalité en face, cesser de se gargariser des quelques réalisations accomplies, et surtout œuvrer véritablement pour la changer nous rendraient bien plus crédibles auprès de nos partenaires. Les Etats-Unis en tête.