La proposition d’amnistie sur les avoirs des Marocains détenus illégalement à l’étranger est à examiner sous différents angles. De la part de l’Exécutif, cet amendement à la Loi de Finances sonne comme un aveu de l’ampleur de la crise que nous traversons. C’est connu, nos réserves de changes fondent comme neige au soleil, depuis plusieurs années. Et s’il n’y avait pas eu de grosses cessions d’entreprises à des multinationales ou de gros emprunts en devises, nous aurions déjà touché le fond, vu notre balance commerciale qui penche largement du côté des importations. Aujourd’hui, il devient donc urgent d’engranger un maximum de 3oumla sa3ba, quitte à dérouler le tapis rouge aux fraudeurs. Le gouvernement espère ainsi renflouer les caisses des banques, augmenter les avoirs de garantie et récolter au passage des centaines de millions de dirhams en impôts grâce à la contribution libératoire associée à cette amnistie.
Vue ainsi, la mesure semble avantageuse. D’ailleurs, le Maroc ne sera pas le premier pays à recourir à une telle action : la France comme la Turquie l’ont fait avant nous, avec des résultats assez concluants. En partant de ces expériences, le gouvernement table sur un rapatriement de plus de 10% des avoirs des Marocains dans les banques étrangères, estimés par la très crédible Banque des règlements internationaux (BRI) à hauteur de 4,5 milliards d’euros.
En adoptant cette démarche, le gouvernement donne le signal qu’il est désormais prêt à composer avec une classe des affaires qui, depuis des années, exfiltre une partie de sa richesse au mépris total des lois sur le change. Les adversaires politiques de Benkirane estiment, à juste titre, que cette approche est un aveu d’impuissance. C’est, pour eux, la preuve que l’Exécutif est incapable de démanteler les circuits de fuite de capitaux et encore moins de sanctionner les fraudeurs.
Néanmoins, l’approche adoptée pour faire passer cette pilule renvoie à une manœuvre politicienne incompréhensible. En introduisant cet amendement capital au niveau de la Chambre des conseillers, Driss Azami Al Idrissi, ministre délégué chargé du Budget, savait qu’il avait peu de chance de le faire passer. Nul besoin d’être un grand analyste politique pour deviner qu’une mesure aussi polémique sera rejetée par une assemblée où les partis au gouvernement sont minoritaires. Pourquoi alors ne pas l’avoir introduite dès le projet initial ou encore lors de la discussion du budget devant la Chambre des représentants ? Mystère…
Trouver le moyen de renflouer les réserves de changes devra être une priorité, mais cela ne saurait reposer sur la seule mesure d’amnistie. Car la fuite des capitaux relève d’un manque de confiance dans le pays de la part d’une classe de nantis qui cherche à assurer ses arrières. Un sentiment qui a tendance à se renforcer depuis le début du Printemps arabe et l’avènement d’un gouvernement islamiste. Mettre en place les fondamentaux d’une stabilité économique et politique durable est sans doute la voie la plus appropriée pour regagner cette confiance. Le seul levier à même de permettre aux milliards détenus par les Marocains à l’étranger de retrouver le chemin du retour vers le royaume.