Maroc-UE. La realpolitik reprend le dessus

Un nouvel accord de pêche vient d’être ratifié par le parlement européen, après deux ans de négociations. Un deal « gagnant-gagnant » selon Rabat 
et Bruxelles, malgré le mécontentement des professionnels marocains.

Les bateaux de pêche européens expulsés des eaux marocaines en décembre 2011 seront bientôt de retour. Après deux ans de négociations, le nouveau protocole de l’accord de pêche Maroc-UE, conclu l’été dernier, vient en effet d’être ratifié par le parlement européen, au grand soulagement des pêcheurs espagnols et de… la diplomatie marocaine.

Concrètement, un maximum de 126 navires européens vont pouvoir exploiter des licences nationales dans les différentes zones de pêche de la façade atlantique marocaine. Et ce en contrepartie d’une redevance annuelle estimée au maximum à 40 millions d’euros (environ 440 millions de dirhams), versée aux autorités marocaines par l’UE et les professionnels européens. Le nouveau protocole a été qualifié de « juste et équilibré » par le ministre de tutelle, Aziz Akhannouch, à l’issue du vote par les eurodéputés.

Les enjeux de l’accord

Le protocole définit les modalités de cette pêche : nombre et types de navires, volume des captures, zones autorisées et montant des redevances. Il est donc indispensable pour rendre opérationnelles les dispositions générales de l’accord de pêche Maroc-UE, entré en vigueur en 2007 et reconduit tacitement jusqu’en 2015. C’est ce même protocole qui avait été suspendu par les eurodéputés, en décembre 2011, entraînant de facto l’arrêt de la pêche européenne au Maroc. Trois raisons principales étaient avancées à l’époque : le faible ratio coût/bénéfice de l’accord pour l’UE, le problème de la préservation des ressources marocaines et la légalité de la pêche au large du Sahara.

La décision des eurodéputés a eu des conséquences lourdes des deux côtés de la Méditerranée. L’Espagne, principal pays bénéficiaire de l’accord, a dû gérer le retour de sa flotte (près d’une centaine de navires d’Andalousie et des Canaries), dans un contexte national marqué par une grave crise économique et sociale. Au Maroc, l’enjeu est avant tout diplomatique. C’est sous la pression de l’UE que les autorités marocaines avaient accepté en 2005 de négocier un nouvel accord de pêche, en contrepartie d’un soutien politique sur la question du Sahara. Or, depuis 2011, le Front Polisario capitalise sur la suspension de l’accord en la présentant comme une victoire dans son combat contre « l’exploitation illégale des ressources naturelles du Sahara occidental ».

Les négociations entamées en 2012 n’ont donc pas eu pour but de trouver un terrain d’entente entre les Exécutifs marocain et européen – cela avait déjà été fait en 2005 –, mais d’aboutir ensemble à un vote positif du parlement européen. Cela se traduit par un certain nombre de mesures figurant dans le nouveau protocole qui vient d’être adopté. Tout d’abord sur l’aspect financier : la contrepartie annuelle payée directement par l’UE baisse de 6 millions d’euros (passant à 30 millions d’euros) tandis que les redevances payées par les armateurs européens augmentent du même montant, à condition que ces derniers exploitent au maximum les quotas de pêche fixés par le protocole.

Le nombre de navires européens a par ailleurs été revu à la baisse, passant de 137 à 126. L’objectif principal est d’optimiser leur présence : sous l’ancien protocole, certaines possibilités de pêche négociées par l’UE n’avaient pas été pleinement utilisées par la flotte européenne. Au final, grâce à un relèvement du quota dédié à la pêche pélagique industrielle (qui passe de 60 à 80 000 tonnes), les possibilités de pêche toutes catégories confondues vont même augmenter de 33%.

Les professionnels râlent

Lors de la suspension du protocole d’accord en décembre 2011, les professionnels marocains de la pêche s’étaient ouvertement réjouis de la décision des eurodéputés et du départ de la flotte européenne. « Nos ressources sont fragiles et limitées. Les professionnels marocains subissent des restrictions depuis plusieurs années, alors qu’en même temps on donne de la matière première à des pays tiers. Ce n’est pas normal », explique un représentant professionel d’Agadir. C’est d’ailleurs à cause de la surexploitation des stocks que le Maroc avait décidé en 1999 de mettre un terme à l’accord de pêche précédent. Aujourd’hui, les espèces les plus menacées (poulpes et crevettes) sont interdites de pêche pour les navires européens et russes.

Les pêcheurs marocains dénoncent également certaines pratiques de leurs concurrents étrangers, comme les sous-déclarations de captures et la pêche en zone interdite. Selon le rapport d’évaluation du protocole précédent, commandé en 2010 par la Commission européenne, seulement 14 infractions ont été signalées entre 2007 et 2010, commises principalement par les senneurs espagnols au nord (pêche en zone interdite). Les amendes infligées, les mêmes que pour les navires nationaux, sont « d’un niveau modeste et peu dissuasif », selon les experts. L’autre point soulevé par le rapport d’évaluation concerne le débarquement des captures dans un port marocain, 
obligatoire pour certaines catégories de navires européens : « Les deux parties s’accordent sur le fait que la clause n’a pas été respectée et que, par conséquent, les débarquements au Maroc ont été bien moindres qu’attendus ».

Problèmes de gouvernance

Ces problèmes liés à la gouvernance ne sont pas spécifiques aux navires européens, ils entachent le secteur de la pêche marocaine depuis les années 1980. « De véritables fortunes ont été constituées grâce aux pratiques illicites, beaucoup reste à faire pour sortir le secteur de l’opacité », rappelle d’ailleurs le professionnel d’Agadir. Abderrahmane El Yazidi, président du Syndicat national des officiers et marins de la pêche hauturière (SNOMPH), partage le même constat mais tient à relativiser : « Le Maroc a fait un grand pas ces dernières années grâce au renforcement de l’arsenal juridique, comme l’obligation d’équiper les navires avec des balises satellite et l’adoption à venir de la loi INN (relative à la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, ndlr). On est en retard, mais sur la bonne voie ».

En ce qui concerne le nouveau protocole de l’accord de pêche, Abderrahmane El Yazidi estime par ailleurs que les professionnels marocains doivent aujourd’hui faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Sur le principe, aucun pêcheur au monde ne va applaudir l’arrivée d’un autre pêcheur pour exploiter les mêmes ressources. D’un autre côté, les ressources nationales sont gérées au nom des intérêts supérieurs de la nation. Si ces intérêts exigent de signer un accord de pêche avec un pays tiers, alors on l’accepte », estime le président du SNOMPH. La ratification du nouveau protocole par le parlement marocain, dernière étape avant sa mise en application début 2014, devrait donc être une simple formalité.   

Sahara. Avantage Maroc !

Comme dans le protocole précédent, la délimitation géographique de l’accord n’est pas précisée. La légalité de la pêche au large du Sahara, remise en question par le Polisario et ses soutiens, a été examinée à trois reprises par le service juridique du parlement européen : en 2006, 2009 et plus récemment en octobre 2013. Les juristes de l’hémicycle estiment que l’accord de pêche est conforme au droit international tant que le Maroc remplit les obligations liées à son statut de puissance administrante “de facto” du Sahara. C’est-à-dire assurer le développement socio-économique du territoire, et ce au bénéfice de la population locale. La commission pêche du parlement européen, qui a voté en faveur du nouveau protocole en novembre, a estimé de son côté que les informations transmises par les autorités marocaines sur l’utilisation prévue des fonds européens au Sahara étaient suffisantes. Selon l’article 6 du protocole, l’Etat marocain devra par ailleurs présenter un rapport final sur la distribution géographique et l’impact socio-économique de la contrepartie financière européenne dédiée à l’appui sectoriel (14 millions d’euros par an).  

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer